Santé mentale, la grande peur

temps de lecture Temps de lecture 5 min

icone Extrait de l'hebdo n°3990

La santé mentale, déclarée Grande cause nationale en 2025, va le rester en 2026. Le nouveau baromètre Ipsos-BVA pour le cabinet Empreinte humaine l’affirme : le niveau de détresse psychologique des salariés ne cesse d’augmenter.

Par Claire NillusPublié le 09/12/2025 à 13h00

image
© Michel Gaillard

Au moins une fois par semaine, ils « craquent »… Réalisée entre fin octobre et début novembre 2025 auprès d’un échantillon représentatif de 2 000 salariés, cette nouvelle enquête du cabinet Empreinte humaine, spécialisé dans les risques psychosociaux au travail, met en évidence une augmentation du « niveau de détresse psychologique des salariés ». Ainsi, un travailleur sur deux déclare être en tension. Parmi ces derniers, 14 % subissent un niveau de détresse élevée et risquent de développer un burn-out – sachant que le nombre des syndromes d’épuisement professionnel est trois fois plus élevé qu’avant la crise sanitaire.

image
© Empreinte humaine/BVA - DR

« Cela fait cinq ans que la courbe se dégrade en milieu professionnel, constate Christophe Nguyen, psychologue du travail et président du cabinet Empreinte humaine. La tendance, ce sont de plus en plus d’arrêts maladie longs pour motif psychologique, la première cause des arrêts maladie. » Or, en 2025, les chiffres s’envolent ; sept salariés sur dix déclarent que leur état est dû « au moins partiellement » au travail.

Quand la tête souffre, le corps parle

L’une des causes le plus souvent mentionnées est la perte de sens du travail réalisé (pour une personne sur deux), surtout parmi les employés (53 %), les jeunes de moins de 30 ans (55 %), les femmes et les agents du secteur public. Cela fait beaucoup de monde.

Un salarié sur deux dit avoir des problèmes de tension artérielle, des maux de dos, des troubles musculosquelettiques, des problèmes de sommeil, des maux de tête ou encore des problèmes digestifs. Or, ces manifestations somatiques se retrouvent chez les personnes ayant déclaré un taux élevé de détresse psychologique. « Certes, une maladie peut être à l’origine d’un stress chronique, mais le stress génère aussi des maux physiques. Pourtant, les personnes sont souvent plus attentives à leur état de santé physique que leur état de santé mentale ; elles sous-estiment les effets de celle-ci sur leurs corps alors qu’il faut traiter les deux sujets ensemble », estime Christophe Nguyen.

En quête du bon niveau de climat psychologique

Dans son baromètre, le cabinet mesure ce qu’il appelle un « bon niveau de climat psychologique dans l’entreprise ». Par-là, il cherche à évaluer l’efficacité des actions de prévention des risques psychosociaux mises en place et produisant des effets. Selon le président du cabinet Empreinte humaine, un bon niveau de sécurité psychologique dépend plutôt du niveau de priorité donné par l’employeur ou l’organisation à la santé mentale par rapport à d’autres objectifs de productivité.

« Si les salariés font trop d’heures, se mettent en danger, s’ils se font agresser régulièrement par des clients, par exemple, au lieu de leur dire “il faut serrer les dents”, l’entreprise peut décider de les protéger et d’interrompre le travail pour prendre des mesures d’atténuation », développe Christophe Nguyen. D’après l’étude, seules 10 % des entreprises se trouvent dans cet état d’esprit. Démarche salutaire puisque dans ces 10 %, le taux de détresse psychologique des salariés chute à 5 % (contre près de 50 % dans les autres).

Peu d’entreprises osent en parler

« On constate que beaucoup d’employeurs n’osent pas parler de santé mentale, comme si cela pouvait pousser à des abus, poursuit-il. Les entreprises qui cherchent au contraire à améliorer le climat de travail font des diagnostics, en restituent les résultats, co-construisent l’organisation du travail, communiquent régulièrement sur la santé mentale, de sorte que si les choses se dégradent, les salariés savent qu’il est possible d’en discuter. »

Mais, bien souvent, les managers interrogés se sentent démunis face aux difficultés personnelles de leurs salariés (problèmes de pouvoir d’achat, de logement, de violences familiales…), quand bien même ces fragilités impactent la performance de leurs collaborateurs. « Ils doivent leur venir en aide. De plus, s’occuper des personnes fragiles, cela crée le climat de solidarité qui, finalement, sécurise tout le monde. »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Dernier enseignement de cette étude, les salariés demandent, sans surprise, une réelle réflexion sur l’organisation du travail et la charge de travail. Malheureusement, très rares sont les actions menées sur ces sujets et, dans le fond, près d’un salarié sur deux doute de la sincérité de son entreprise en matière de prévention des risques. La défiance qui pèse sur des arrêts de travail prétendument non justifiés nuit à la reconnaissance de situations de détresse et empêche les personnes fragilisées de se confier.