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Extrait de l'hebdo n°3974
Quelques semaines après la fin du “conclave” consacré aux retraites, l’Ajis et l’Ires organisaient, le 11 juillet dernier, une matinée d’échanges avec les partenaires sociaux et des économistes pour évoquer le sujet brûlant du financement.

Et si c’était Nicolas Boileau qui, finalement, évoquait le mieux la « patate chaude » que constitue le financement du système des retraites ? « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage », écrivait-il en 1674. C’est qu’en trente ans, la question a justement été « remise sur l’ouvrage » de nombreuses fois, avec pas moins de cinq réformes, en 1993, 2003, 2010, 2013 et 2023. Sans que la question ne soit close pour autant… Dans l’optique de poursuivre le débat après l’échec du « conclave » des partenaires sociaux sur le sujet, l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) et l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) ont organisé une matinée de débats à propos du financement du système des retraites, en présence d’économistes et de représentants des organisations syndicales et patronales.
Des recettes en baisse
Mais de quoi parle-t-on, au juste ? Les dépenses liées aux retraites représentent un peu plus de 13 % du produit intérieur brut, est venu rappeler Frédéric Lerais, le directeur de l’Ires. Or selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), ça ne devrait guère changer dans les prochaines décennies (14,1 % du PIB en 2045). « En revanche, les ressources, elles, diminuent », ajoute-t-il. Effectivement, le COR a écrit dans son dernier rapport qu’en 2024, « les ressources du système de retraite se sont élevées à 13,9 % du PIB. Cette part devrait baisser à l’avenir pour s’établir à 13,8 % du PIB en 2030 et se situer à 12,8 % en 2070 ». Selon l’économiste Michaël Zemmour, c’est bien cette baisse programmée des ressources qui crée le déficit du système de retraites et non l’augmentation des dépenses : « L’État paie plus que sa part pour les retraites et, dans le futur, il s’est arrangé pour payer moins. […] Donc on retire le tapis sans mettre de nouvelles ressources financières. »
Face à cela, une solution envisagée consiste à repousser l’âge de départ en retraite afin d’augmenter mécaniquement le taux d’emploi des personnes seniors, et donc d’augmenter les ressources financières des régimes. « Mais qu’est-ce qu’on gagne ? Un point de PIB d’ici à dix ans selon les évaluations les plus optimistes », indique Michaël Zemmour, soulignant un potentiel « prix social élevé » avec des seniors qui, si les pratiques ne changent pas, seront maintenus hors de l’emploi plus longtemps et des dépenses en RSA ou en assurance chômage liées.
Un taux d’emploi à améliorer
Après avoir écouté ces constats et analyses, les organisations syndicales et patronales (à l’exception notable du Medef, qui était absent) ont été invitées à parler des moyens. Selon la CFDT, représentée par son secrétaire général adjoint, Yvan Ricordeau, il y a bien « une question de recettes qui se pose », et la solution est plutôt d’augmenter le taux d’emploi des jeunes et des seniors que d’augmenter les cotisations. Il rappelle qu’il y a aussi une question de finances publiques et d’impôts : « En 2030, le déficit sera de six milliards d’euros dont deux milliards liés à la non-compensation par l’État d’exonération de cotisations sociales. »
Côté CGT, « nous pensons qu’il y a des ressources. L’emploi est une solution : on ne peut pas attendre [l’âge de] 28 ans avant d’avoir un CDI, explique Denis Gravouil, secrétaire confédéral. Nous sommes attachés à un système financé par les cotisations. Les impôts doivent, eux, servir à financier les services publics ». Si FO et la CFTC sont aussi en accord avec l’augmentation du taux d’emploi, une question se pose : « Quand ces milliards vont-ils entrer dans les caisses ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », souligne Cyril Chabanier, président de la CFTC. Quant à la CPME, représentée par son nouveau président, Amir Reza-Tofighi, « il faut que les charges baissent, nous n’avons pas le choix ».
Capitalisation or not capitalisation ?
Et si la capitalisation était une voie à emprunter pour sauver les retraites et leur financement ? « Ça coûte aussi cher que la répartition, souligne Yvan Ricordeau. Donc un système avec une capitalisation massive sans un euro de plus, ça ne marchera pas. » D’autant qu’une autre question épineuse se pose, en cas de transition du système uniquement par répartition vers une autre formule : « Quelle génération on sacrifie pendant dix ans ? » En revanche, de l’avis de la CFDT, « il faut plus d’égalité en ce qui concerne l’épargne retraite collective en entreprise, qu’elle profite à plus de salariés et qu’elle finance l’économie réelle ».
La CGT est « contre, car avec un système de capitalisation, comment se fait la solidarité ? » François Hommeril, de la CFE-CGC, enfonce le clou : « La “capi” n’est pas plus performante que la répartition. » Et selon l’U2P, représentée par Michel Picon, « la capitalisation est une réponse pragmatique. Le rendement est bien meilleur qu’avec la répartition. Dans la période, c’est un outil dont on aurait tort de se priver ». Les différents acteurs n’ont évidemment pas achevé la matinée en se mettant d’accord ; la question du financement des retraites va continuer d’alimenter le débat public, avec les prochaines échéances politiques nationales en ligne de mire.