Planter des arbres : une solution contre le réchauffement climatique ?

iconeExtrait du magazine n°493

Parce qu’elles captent une partie du CO2 présent dans l’atmosphère, les forêts sont des puits de carbone naturels. Il serait cependant illusoire – et dangereux – de les considérer comme le remède miracle à nos émissions.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 28/04/2023 à 09h00

Un collectif citoyen en Indre-et-Loire plante des haies en agroforesterie (exploitation d’arbres et d’agriculture pour protéger les sols).
Un collectif citoyen en Indre-et-Loire plante des haies en agroforesterie (exploitation d’arbres et d’agriculture pour protéger les sols).© Yoan Jäger / Divergence-Images

Air France, Shell, BP, TotalEnergies, Toyota, Eurostar, Starbucks, Yves Rocher… Depuis quelques années, des dizaines d’entreprises proposent de compenser leurs émissions de carbone en participant à des programmes de reforestation.

Elles ne sont d’ailleurs pas les seules à vouloir planter à tour de bras : ONG, gouvernements et institutions (comme la Commission européenne) s’y sont mis. Dans le principe, pourquoi pas ? puisque les arbres, par la photosynthèse, captent le CO2 présent dans l’atmosphère.

Au même titre que les océans, les forêts représentent ce qu’on appelle des puits de carbone naturels. En France, les 16,5 millions d’hectares de forêts (soit un peu moins de 25 % du territoire) captent environ 13,8 millions de tonnes de carbone par an. Soit environ 15 % de nos émissions, selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Quand on sait que les activités humaines rejettent un total de 30 milliards de tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère, selon le Giec, et qu’un arbre peut capter environ 25 kg de CO2 par an, on vous laisse faire le calcul du nombre d’arbres qu’il faudrait planter pour tout compenser. Une planète n’y suffirait pas ! Il y a donc une première limite géographique à cette idée de vouloir compenser les émissions en plantant des arbres. Et ça n’est pas la seule.

Que valent ces projets de reforestation ?

D’abord, il faut commencer par distinguer les projets forestiers. Tous ne se valent pas… et de loin ! Ainsi, quand on vous propose de planter un arbre pour compenser l’empreinte carbone de votre voyage en avion ou de l’achat d’un tee-shirt, mieux vaut y regarder de plus près. Parce qu’il existe, en effet, des projets d’agroforesterie très vertueux, conduits localement, qui ont pour but « d’accompagner les dynamiques naturelles des forêts, de participer à ce qu’elles soient plus résilientes face au changement climatique et donc qu’elles conservent leur rôle de puits de carbone », explique Didier Paillereau, expert forestier indépendant.

Comme le constate cet ingénieur depuis plusieurs années, « certaines forêts commencent à donner des signes de dépérissement du fait du réchauffement climatique. On a donc besoin d’introduire d’autres essences plus résistantes. Pas de manière massive, mais au contraire de manière ponctuelle, en veillant au respect des écosystèmes. Cela nécessite des investissements ».

Avant de reboiser, agissons d’abord pour réduire nos émissions, préserver les forêts primaires existantes et lutter contre la déforestation…

1. On parle de « reforestation » quand on plante là où il y avait précédemment des arbres et d’« afforestation » là où il n’y avait pas d’arbres mais des cultures, des espaces vierges, etc.

À l’inverse, d’autres projets peuvent se révéler désastreux pour l’environnement, comme ces vastes plans de reforestation ou d’afforestation en monoculture1, utilisant des essences d’arbre à croissance rapide (les épicéas, les eucalyptus…), dévastateurs pour la biodiversité, les sols et le cycle de l’eau. Ainsi, le projet que conduit TotalEnergies en République démocratique du Congo pose question.

Lancé en 2021, il propose de planter une nouvelle forêt de 40 000 hectares, censée pouvoir stocker 10 millions de tonnes de CO2 sur vingt ans. « C’est typiquement le genre de projet qui va détruire un écosystème riche et complexe pour planter à la place des acacias en monoculture. Ces arbres ont non seulement un faible potentiel de séquestration de carbone mais consomment de grandes quantités d’eau », dénonce Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer climat au CCFD-Terre Solidaire et autrice d’un passionnant rapport sur les mirages de la compensation carbone dans trois multinationales. La jeune femme fustige les aspects antiécologiques du projet ainsi que les conséquences sur les populations locales. « On reste dans une vision Nord-Sud des choses : on pollue ici, on compense là-bas. »

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Alors, oui, planter des arbres et surtout préserver nos forêts est indispensable. Mais pas n’importe comment. Et surtout pas, comme le souligne Myrto Tilianaki, si ces plantations servent de « paravent, de prétexte pour se donner bonne conscience et finalement ne rien changer à nos modes de vie, de production et de consommation. On perd un temps précieux alors que le Giec alerte sur l’urgence à agir ! ».

Avant de reboiser, agissons d’abord pour réduire nos émissions, préserver les forêts primaires existantes et lutter contre la déforestation (et les pratiques agricoles qui en sont à l’origine comme les cultures d’huile de palme ou de soja…). Et si vous voulez planter des arbres, vérifiez aussi l’effectivité du programme qui vous est proposé –beaucoup de projets surestiment leurs impacts en matière de compensation carbone – et la qualité de son suivi.

« Arrêtons les incohérences ! »

Bruno Colladant, DS CFDT Orange DTSI

À la fin octobre 2021, le groupe Orange annonçait le lancement d’un programme de plantation de 260 000 arbres d’ici à un an, en partenariat avec Alliance Forêts Bois. Ce n’est pas tant cette information qui met en colère Bruno Colladant, délégué syndical CFDT à la Direction technique des réseaux (DTSI) d’Orange. « C’est une nécessité de planter des arbres. Ne serait-ce que pour remplacer les milliers d’arbres qui meurent chaque année du fait du réchauffement climatique. » Non, ce qui énerve ce militant, animateur de la Fresque du numérique et apiculteur à ses heures, c’est le manque de cohérence de l’entreprise : « D’un côté, on plante des arbres et, de l’autre, l’entreprise conduit des projets qui vont alourdir le bilan carbone. »

Ainsi, le projet de déménagement du site de Portet-sur-Garonne à Balma (à l’est de Toulouse), soit à 25 km, va représenter 102 tonnes équivalent CO2 en plus rien que pour les trajets domicile-travail des 300 salariés concernés. « Nous avons donné un avis négatif en CSE sur la base d’un rapport de 148 pages réalisé par le cabinet Syndex. Mais la direction n’en a pas tenu compte. Ce projet amène les salariés à davantage prendre leur voiture. Il n’y a pas de cohérence RSE. ». Selon lui, vouloir planter des arbres, c’est du pur green washing, une ruse pour continuer le business as usual. « La vraie question que devrait se poser l’entreprise, c’est comment transformer nos activités pour réduire notre empreinte carbone ? »