Patrick Pelloux : “La société française manque d’air” abonné

Médecin urgentiste apparu sur la scène médiatique à l’été 2003 lors de la canicule et connu pour son franc-parler, Patrick Pelloux a longtemps écrit dans Charlie Hebdo et fut le premier sur les lieux du massacre le 7  janvier. Mais, au-delà de ce drame, c’est avant tout un médecin engagé, pas toujours d’accord avec la CFDT, qui livre sans faux-semblant sa vision du syndicalisme et de l’hôpital. Entretien.

Par Nicolas BallotPublié le 29/02/2016 à 16h27

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© Emmanuelle Marchadour - Octobre 2015

Casquette vissée sur la tête, tutoiement sincère et chaleureux de rigueur, le docteur Patrick Pelloux s’excuse d’emblée d’avoir dû décaler notre entrevue de 24 heures à cause d’une garde au Samu qui n’en finissait pas. Le rendez-vous a lieu rue des Martyrs – tout un symbole pour un survivant de Charlie Hebdo – mais, comme pour dédramatiser, le café s’appelle le Smiley (sourire en anglais). Cependant, comme si sa seule présence voulait nous rappeler la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis le 13 novembre, un car de police est stationné à proximité, et un policier, mitraillette au côté, fait les cent pas le long de la terrasse.

La première question que l’on a envie de vous poser, c’est comment allez-vous ?

Cela n’a pas beaucoup d’importance dans le fond. Ce qui me semble plus intéressant, c’est comment j’ai réussi à tenir depuis un an. Quand il arrive de tels événements dramatiques – et tout le monde peut en vivre –, il faut se laisser porter par les soignants. Ce qui m’a aidé, c’est la prise en charge par des psychiatres. Il est indispensable d’écouter les docteurs : il faut accepter les traitements et le fait d’être suivi.

Parallèlement, il ne faut se laisser aspirer par la tristesse, le désespoir, mais au contraire se mettre de grands coups de pied au cul ! Se remettre rapidement à travailler, s’occuper, ne surtout pas changer ses habitudes. Personnellement, je me suis mis à faire beaucoup de yoga, ce qui me permet d’obtenir des moments apaisants au lieu de me focaliser sur les événements dramatiques et désespérants que j’ai vécus l’an dernier.

Enfin, il faut accepter de changer, et c’est sans doute le plus difficile. En l’occurrence, il m’a fallu quitter Charlie Hebdo, parce que c’est terrible d’être confronté toujours au même objet, qui est un objet de sidération et de désespérance. Donc, pour répondre à la question, je ne sais si je vais mieux… Disons qu’il y a de belles éclaircies dans la tempête.

Que pensez-vous de la prolongation de l’état d’urgence ?

J’y suis totalement favorable ! Nous sommes dans une situation d’exception : on sait que de nouveaux attentats risquent de se produire à brève échéance. Et si par malheur cela arrive, on reprochera au gouvernement ne pas avoir tout fait pour nous protéger. C’est donc paradoxal que certains lui reprochent aujourd’hui de mettre en place ce que la République autorise en matière de protection de la population. Personne ne peut légitimement penser que Daesh n’est pas en capacité de perpétrer de nouveaux attentats en Europe et en France. Sans compter que laisser monter le radicalisme islamique serait une grave erreur. L’état d’urgence permet de lutter contre la montée de ce fléau.

Cela dit, je comprends ceux qui remettent en cause cette restriction de liberté, mais la situation est exceptionnelle : nous sommes en guerre ! Et le reconnaître, ce n’est pas développer un racisme ou une islamophobie ; c’est juste dire que l’on doit se protéger face à une organisation internationale hyperstructurée qui veut (r)établir les lois moyenâgeuses de la charia. C’est pourquoi je défends la laïcité coûte que coûte et partout sur le territoire de la République. Selon moi, les signes ostentatoires d’appartenance à une religion doivent être interdits, y compris à l’université et à l’hôpital. Si la laïcité tombe, c’est la République qui tombe.

Le grand public vous a découvert lors de la canicule de 2003, alors que vous militiez depuis des années. Avez-vous toujours été considéré comme une « grande gueule » dans un milieu médical qui n’est pas réputé pour être de gauche ?

Oui, ça faisait déjà plus de cinq ans que je militais et oui, le monde médical est un monde de droite ou plutôt un monde conservateur – je connais des médecins de gauche qui sont profondément conservateurs. Quant à l’expression « grande gueule », on en affuble souvent les syndicalistes de façon volontairement péjorative. Et puis un jour, quelqu’un qui vous traitait de grande gueule vient vous voir parce qu’il a un problème et est bien content que vous vous occupiez de lui. Et, honnêtement, je suis assez fier du bilan de mon engagement syndical au sein de l’Amuf [Association des médecins urgentistes de France, pas toujours sur la même ligne que la CFDT]. Évidemment, la contrepartie de cet engagement assez marqué, c’est que je sais que mon évolution de carrière est derrière moi : je n’accéderai jamais à un poste à responsabilité au sein de l’AP-HP. Mais je n’en conçois aucun ressentiment envers cette magnifique institution. N’oublions pas que le soir du 13 novembre, l’AP-HP a été capable de mobiliser plus de 60 blocs opératoires en deux heures avec le concours exemplaire de tous les personnels, dont la plupart ont volontairement interrompu leur temps de repos. Je connais peu d’institutions médicales qui auraient agi aussi efficacement.

Au moment où le « syndicalisme bashing » est à la mode, quel regard portez-vous sur l’action syndicale ?

Le combat syndical doit être moderne : il faut être contemporain de l’évolution des mentalités et des attentes. Il est impératif d’apporter des réponses nouvelles aux salariés. À titre d’exemple, sur un sujet sensible comme la retraite, il faut à la fois aider des plus de 50 ans usés à rester au travail dans de bonnes conditions ou leur permettre de partir plus tôt à la retraite si le maintien dans l’emploi est réellement impossible et, dans le même temps, ne pas empêcher ceux qui ont plus de 67 ans mais sont en pleine forme et ont envie de rester actifs de continuer de travailler.

À vrai dire, je trouve la revendication de la retraite uniforme pour tous à 60 ans un peu obsolète. Il est…

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