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Extrait de l’hebdo n°3862
En marge de son Conseil national confédéral de février, la CFDT a souhaité sensibiliser les responsables de ses structures au parcours des personnes migrantes et valoriser les actions pour leur venir en aide.

1. Paolo Artini, représentant en France du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), François Gemenne, politologue et chercheur spécialiste des questions de migrations environnementales et climatiques, et Fabienne Lasalle, directrice générale adjointe et porte-parole de SOS Méditerranée.
À cause des guerres, persécutions, violences, famine, ou tout simplement pour trouver du travail ou suivre des études : chaque année, plusieurs millions d’hommes, de femmes et d’enfants prennent la route en espérant un avenir meilleur. Qui sont ces migrants qui fuient leur pays, parfois au péril de leur vie ? Quels sont leurs espoirs ? Comment sont-ils accueillis lorsqu’ils arrivent en Europe ? En marge de son Conseil national confédéral des 14 et 15 février, la CFDT accueillait dans ses locaux trois spécialistes1 pour « sensibiliser les responsables de [ses] structures fédératives aux motifs et aux parcours des migrants ». Une intervention ovationnée par les équipes CFDT.
Les trois quarts des migrants migrent dans leur propre pays
« En Europe, le débat public ne s’intéresse pas aux migrations en tant que telles, déplore François Gemenne, mais seulement à ce qui se passe une fois que les migrants arrivent sur notre territoire. » Or, poursuit-il, « il est fondamental de comprendre les raisons de l’exode pour comprendre les ressorts et les dynamiques de l’immigration ».
Aujourd’hui, sur près de huit milliards d’habitants dans le monde, un milliard de personnes n’habitent pas là où elles sont nées ; et parmi elles, un quart seulement sont des migrants internationaux, c’est-à-dire des personnes qui migrent vers un autre pays. Les autres migrent à l’intérieur de leur pays d’origine – un taux stable depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, explique le politologue. Il y a par ailleurs une « discordance totale entre l’image renvoyée par les migrants internationaux et leur situation socio-économique dans le pays d’origine. La migration est souvent le fait des gens les plus nantis et les plus qualifiés. La misère du monde, elle, reste chez elle. Et lorsqu’elle migre, elle doit absolument travailler pour envoyer de l’argent au pays ». La remise d’épargne représente ainsi 10 % du PIB du Maroc et 35 % du PIB d’Haïti, rappelle François Gemenne.
Si l’on s’intéresse plus spécifiquement au continent africain, « les migrants n’ont bien souvent pas une idée précise de leur destination finale au moment où ils partent. Beaucoup sont dépendants de réseaux, de passeurs, de trafiquants et parfois de réseaux d’entraide ». L’immense majorité (70 %) migre vers un autre pays d’Afrique, l’Europe n’étant la destination que de 14 % d’entre eux, contrairement à ce qui est versé au débat public. C’est donc une minorité de personnes qui arrivent chaque année sur le continent européen, souvent dans des conditions dramatiques.
“Ocean Viking”, une flotte engagée
Des conditions dramatiques que connaît parfaitement Fabienne Lassalle, directrice générale adjointe de l’association civile européenne de sauvetage en mer SOS Méditerranée. Depuis le début de ses opérations, en février 2016, SOS Méditerranée a secouru 37 268 personnes à bord de ses navires Aquarius puis Ocean Viking. Près du quart d’entre elles étaient mineures. « Il s’agit de tendre la main à des personnes qui sont en train de se noyer ! C’est un devoir moral et légal alors qu’on nous fait passer pour des criminels », s’alarme Fabienne Lassalle, qui rappelle que cette responsabilité relève légalement des États.
Jusqu’en 2018, l’Italie coordonnait les sauvetages en Méditerranée centrale ; mais, sous la pression de l’Europe, elle a cédé cette tâche à la Libye. « Les navires des ONG menant des opérations de recherche et de sauvetage passent des périodes de plus en plus longues bloqués en mer avec des rescapés à bord, explique Fabienne Lassalle, et les ports de débarquement qui leur sont assignés sont de plus en plus éloignés des lieux où se trouvent les navires. » Les conséquences sont désastreuses pour les personnes qui tentent de traverser par la voie maritime.
Le terreau de l’extrême droite
« Le problème est la déshumanisation de la migration et des migrants, que l’on refuse de reconnaître comme des personnes appartenant à notre territoire national, alerte François Gemenne. Le débat politique sur l’immigration est dicté par la peur de la montée dans les urnes de l’extrême droite. Jamais la Commission européenne ne parvient à faire voter ses projets par les États membres. Le ballottement de l’Ocean Viking en est le témoignage absolu. »
« Les arrivées de la Méditerranée sont très gérables », estime pour sa part Paolo Artini. Les trois intervenants de la table ronde alertent, à quelques jours de l’ouverture du débat parlementaire relatif au projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », sur le rôle fondamental que les syndicats peuvent jouer dans le réveil de l’opinion publique.