Libérer la parole

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Les liaisons dangereuses

Pouvoir parler à un collègue ou participer à un groupe de discussion permet de sortir de l’enfermement. Une voie nécessaire vers la guérison.

Par Pauline Bandelier et Emmanuelle Pirat— Publié le 03/06/2022 à 10h16

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© REA

« Le silence tue plus que le produit , aime rappeler Patrick Bouyssou, chef de service QSE (qualité, sécurité et environnement) dans l’entreprise de BTP Léon Grosse (2 300 salariés). La première façon d’aider une personne, c’est d’aller la voir. Il faut dépasser la crainte d’être intrusif. Au pire, on se prend un râteau. Au mieux, c’est une main tendue qui peut tout changer. »

Patrick sait de quoi il parle : pendant des années, cet ancien militaire de carrière reconverti dans le BTP s’est oublié dans l’alcool. Des années à rester dans le déni de sa maladie. Dans le silence aussi. Jusqu’au jour où un supérieur le convoque et aborde frontalement la question. « Ce jour-là, j’ai menti. Je me suis défilé en disant que je n’avais pas de problème d’alcool. Mais au fond, j’ai su que cette personne pouvait m’aider. » Quelques mois plus tard, alors qu’il sombre littéralement pendant le confinement, il prend son téléphone. « À partir de là, avec l’entreprise, on a tout mis en place pour me sortir du gouffre. »

Depuis qu’il a remonté la pente (il va commencer une formation de patient expert à l’hôpital Bichat, à Paris), il a fait de la communication autour des addictions son cheval de bataille. Il veut participer à mettre fin à la honte et au silence qui entourent les consommations de produits. Élu CFDT au conseil social et économique (CSE), il est devenu une sorte de « référent addictions » dans son entreprise : « Léon Grosse est une entreprise familiale avec un engagement fort pour accompagner les personnes qui souffrent d’addictions », précise-t-il. Et qui a déployé un certain nombre d’actions (programme de sensibilisation des collaborateurs, projet de formation des managers, etc.).

Plus forts ensemble

Pouvoir aborder la question des addictions au sein des entreprises n’est pas encore la règle. Alors bien souvent, les groupes de parole sont le fait d’initiatives extérieures (services d’addictologie d’hôpitaux, associations…). Peu connus, les groupes des Narcotiques Anonymes, association à but non lucratif créée sur le modèle des Alcooliques Anonymes, entendent justement aider par la parole et le soutien entre pairs. « Bonjour, je m’appelle Marc, je suis dépendant, j’ai cent douze jours. C’est la première fois de ma vie d’adulte que je suis “clean” aussi longtemps. » Les applaudissements et les bravos retentissent. Autour de la table de cette salle du quartier de l’Opéra à Paris, une trentaine de personnes, certaines abstinentes depuis quelques jours, d’autres depuis des années. Tous sont d’anciens usagers de drogue en rétablissement, les consommateurs encore actifs pouvant également assister aux réunions mais pas partager. Afin de créer un espace où chacun se sente en sécurité, la prise de parole se fait à tour de rôle, chaque personne partageant uniquement sur sa propre expérience. Aujourd’hui, le thème de cette réunion hebdomadaire d’une heure et demie est l’acceptation de la réalité et de ses émotions. Dans les prises de parole, très peu de références à des produits spécifiques, on parle de drogue au sens large, alcool compris.

En parallèle de ces réunions, il est possible d’échanger avec un « parrain » ou une « marraine », un dépendant – traduction de l’anglais addict – qui est plus expérimenté dans l’abstinence et dans la pratique du programme de rétablissement. À ces personnes habituées à rechercher la satisfaction immédiate, l’association prône ainsi la mise en pratique de principes spirituels comme l’humilité, l’ouverture d’esprit ou l’honnêteté. Les premiers groupes de Narcotiques Anonymes voient le jour en 1983, à Paris. L’association organise aujourd’hui plus de 140 réunions hebdomadaires en France. Ici, dans ces espaces où l’attitude est bienveillante, on peut poser un temps le fardeau de sa souffrance. Et parler de ce qu’on est et de ce qu’on a fait avec honnêteté, sans craindre d’être jugé.