Extrait du magazine n°483
Alors que la censure s’accentue et que le pouvoir fait taire la société civile russe, l’association Russie-Libertés, implantée en France, veut donner une voix aux opprimés. Rencontre avec Olga Prokopieva, porte-parole de l’association.

Comment la société civile russe se mobilise-t-elle pour dénoncer cette guerre ?
Aujourd’hui, la société civile russe est complètement muselée et réprimée. Depuis les élections législatives truquées de 2011, nous alertons sur le danger que représente Vladimir Poutine pour la démocratie et pour le monde. Dès 2017, les ONG percevant de l’argent de l’étranger ont été désignées par la loi comme « agent de l’étranger », avec de nombreuses contraintes pesant sur elles.
Les médias sont ensuite tombés sous cette dénomination, puis les personnes physiques. L’année 2021 a été liberticide, avec des atteintes à la liberté de rassemblement et au droit de manifester notamment. La loi sur les fake news (adoptée le 4 mars 2022) expose les simples citoyens et les journalistes à de fortes amendes et à des peines allant jusqu’à quinze ans de prison. Elle réduit au silence le peu de médias indépendants qui existaient. Certains essayent de continuer leur travail depuis l’étranger, via des canaux comme Telegram.

Vladimir Poutine affiche sa volonté de « nettoyer » la société russe…
C’est effrayant. Il veut faire taire tous ceux qui sont contre la guerre. Il veut laisser penser que ces gens sont sous influence occidentale, des « traîtres à la patrie » et qu’ils sont une menace à la grandeur de la Russie.
La dissolution de l’association Memorial International, qui travaillait sur la mémoire des répressions du stalinisme, est un exemple à la fois frappant et dramatique. Si les Russes oublient les leçons du passé, s’ils oublient comment s’est construit l’empire soviétique, s’ils oublient les douleurs et les répressions, s’ils oublient les goulags, ils risquent de retomber dans le même piège. Poutine veut créer une mémoire et une histoire sélectives.
Malgré les menaces et la répression, les citoyens opposés à la guerre parviennent-ils toujours à se mobiliser ?
Il y a de nombreuses manifestations dans le pays. Plus de 15 000 personnes ont été arrêtées depuis le début du conflit. Aujourd’hui, sortir dans la rue, c’est une « mission suicide », c’est prendre le risque de tout perdre, de finir en prison, d’être licencié ou d’être exclu de son université. Un panneau blanc, un dessin de colombe, une fleur, un extrait d’une œuvre de Tolstoï ont été utilisés pour contourner la loi, ils ont pourtant été autant de motifs d’arrestation. Ceux qui le font ont conscience des risques. Ce sont des héros. Malheureusement, il n’y a même plus besoin d’aller sur la voie publique pour être arrêté. La délation est encouragée par le pouvoir. Des professeurs ont ainsi été dénoncés par leurs élèves…
Comment la guerre est-elle perçue par la population ?
De nombreux Russes sont opposés à cette guerre… et beaucoup d’autres ignorent qu’il y a une guerre. Nous sommes solidaires des Ukrainiens et nous nous mobilisons à leurs côtés. Nous voulons que cette guerre cesse le plus rapidement possible. En Russie, seuls les médias liés au pouvoir diffusent de l’information. Ils parlent d’une « opération spéciale » en Ukraine, contre l’Otan ou contre les États-Unis, mais pas contre les Ukrainiens. Lorsque des images sont diffusées, elles le sont avec la seule rhétorique du pouvoir. On le voit avec les massacres, notamment de Boutcha. Les médias expliquent que les corps ont été placés par les nationalistes ukrainiens. Même si les images satellites prouvent le contraire. Les Russes vivent dans une bulle d’information. Nous avons même du mal à convaincre nos proches qui habitent en Russie de la réalité de la guerre.
Y a-t-il une lueur d’espoir ?
Les pronostics sont très pessimistes. Il devient de plus en plus difficile de contourner la censure et les organes officiels de communication du pouvoir. Même les VPN [services permettant de naviguer sur le web de façon confidentielle et sécurisée], que certains utilisent pour avoir accès à Facebook ou Instagram, commencent à être bloqués.
Que dites-vous à celles et ceux qui, en France, se font le relais de la propagande de Moscou ?
Ouvrez les yeux. Poutine est dangereux. Il est impossible de négocier avec lui. Ne lui faites pas confiance. Il a créé une véritable machine de propagande qui diffuse des mensonges sur toute la ligne. Il ne faut surtout pas entrer dans son jeu. Il ne faut pas tenter de trouver des explications, ou pire, des justifications à cette guerre, parce qu’il n’y en a pas. Il ne comprend que la force. Nous sommes favorables aux sanctions individuelles et économiques. Il faut un boycott du gaz et du pétrole russes. C’est ce qui fait vivre Poutine, et c’est ce qui finance cette guerre.
Retrouvez toutes les actions de solidarité pour l'Ukraine sur www.cfdt.fr
