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Extrait de l’hebdo n°3862
Chaque année, la Fondation Abbé Pierre alerte sur l’état du mal-logement en France et souligne les insuffisances des politiques publiques en la matière. Son 28e rapport annuel met l’accent sur la situation des femmes. Particulièrement empêchées dans leur parcours résidentiel, elles sont les premières victimes du mal-logement.

En 2022, 330 000 personnes sont privées de domicile, alerte la Fondation Abbé Pierre dans un 28e rapport glaçant sur l’état du mal-logement en France. À ces sans domicile fixe s’ajoutent 25 000 personnes en chambres d’hôtel, 100 000 dans des habitations de fortune et 643 000 en hébergement « contraint » chez des tiers. Au total, plus d’un million de personnes sont privées de logement personnel. Le nombre de personnes sans domicile a doublé depuis la dernière enquête de l’Insee sur le sujet en 2012.
La protection des femmes et mères sans abri s’érode
Faute de places, les services d’hébergement sont contraints de refuser des enfants, des femmes enceintes ou de jeunes mères avec leur nourrisson. « Aujourd’hui, en France, dans les services de maternité, on ajoute volontairement des nuitées aux femmes qui accouchent, de plus en plus nombreuses à être sans domicile fixe, pour éviter que les nouveau-nés se retrouvent directement à la rue », témoignait, comme un cri de détresse, le président de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, à la sortie du rapport. Et alors qu’au début décembre 2022 était déclenché à Paris le plan Grand Froid, 5 000 personnes ayant joint le 115 sont restées sans solution d’hébergement ; parmi elles se trouvaient plus de 1 300 enfants.
Dans son rapport, la Fondation Abbé Pierre analyse toute une série d’inégalités, d’obstacles et de discriminations liés au genre. Alors que les salaires des femmes restent en moyenne de 22 % inférieurs à ceux des hommes, elles cumulent plus fréquemment emploi précaire, temps partiel (28 % des femmes en emploi) et monoparentalité (83 % de femmes). En cas de violences conjugales, les femmes sont également plus souvent contraintes de quitter le domicile conjugal, et 40 % des victimes en demande d’hébergement restent, in fine, sans solution.
Enfin, remarque la Fondation, la protection des mères sans abri s’érode. « L’accroissement dans la dernière décennie du nombre de femmes avec enfants à la rue vient conforter l’hypothèse d’un affaiblissement de la protection que conférait le statut de mère isolée. » Et lorsqu’elles existent, les solutions d’hébergement sont « très largement pensées pour un public masculin ».
Des indicateurs qui continuent de se dégrader
Contre ce qu’elle appelle la « machine à produire de la précarité », la Fondation Abbé Pierre en appelle à une politique de redistribution plus juste des richesses et un nouveau budget ambitieux pour le logement. Elle souligne notamment que le calibrage du plan Logement d’abord (LDA), lancé en septembre 2017, n’est pas suffisant pour répondre aux besoins en logement des personnes sans domicile. Quant au montant des investissements dans le logement social, à la production ou à la réhabilitation, il est passé de 16 à 14 milliards d’euros par an d’après le Rapport du compte du logement 2021, en baisse de 10 % depuis 2017.
En l’absence de ministre du Logement pendant plusieurs mois, l’année 2022 se caractérise par la faiblesse du programme présidentiel sur le sujet du logement – tandis que l’inflation et la hausse des prix de l’énergie pèsent sur le budget des plus modestes. « Notre gouvernement actuel considère le sujet du logement seulement comme un levier de baise de la dépense publique, alors que c’est la première dépense des ménages ! », s’indigne Christophe Robert.
Ainsi, au quatrième trimestre 2022, la moitié des bailleurs sociaux relevait déjà une hausse de plus de 10 % des impayés de loyer. La plupart des indicateurs de mal-logement montrent une dégradation de la situation. Face à la pénurie de logements accessibles, à la hausse des coûts de construction et à la panne de production de logements sociaux, il est essentiel que les pouvoirs publics investissent à nouveau fortement dans la construction et la rénovation de logements à prix modérés. La Fondation Abbé Pierre mène régulièrement des campagnes nationales d’information et de sensibilisation. Ce rapport y contribue.