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Extrait de l'hebdo n°3968
Les trains sont pleins mais l’état du réseau est préoccupant. La CFDT Cheminots tire la sonnette d’alarme et entend peser sur la conférence nationale pour le financement des infrastructures de transports qui a démarré début mai.

Le gouvernement a lancé une grande conférence nationale pour bâtir « un nouveau modèle de financement des infrastructures de transports à horizon 2040 ». Baptisée Ambition France Transports, elle a commencé le 5 mai, « dans un contexte de contraintes sur les finances publiques » qui exigent « de préciser la répartition des rôles entre les différents financeurs et d’identifier des pistes de financement soutenables ».
Organiser une conférence sur le financement des infrastructures de transports était une nécessité absolue, au moment où des investissements majeurs doivent être consentis afin d’entretenir les réseaux et les préparer au changement climatique. Mais que peut-on attendre de cet événement qui fait fi des organisations syndicales ? Aucune d’entre elles n’a été conviée aux ateliers où siègent pourtant élus nationaux et locaux, experts du secteur, organisations professionnelles, représentants de la société civile et des usagers… et même organisations patronales.
La CFDT veut peser sur l’avenir du ferroviaire
« On peut tout dire, décrète Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT Cheminots, mais on ne fera rien sans les salariés et les agents que nous sommes, on ne fera rien sans développer les compétences, sans avoir des salariés engagés et reconnus à leur juste valeur. Nous ne sommes pas conviés à la conférence nationale Ambition France Transports ? Ils ne veulent pas nous entendre ? Ce n’est pas grave, nous allons porter haut et fort nos propositions pour l’avenir du ferroviaire car nous n’avons pas le choix, ce sont nos emplois, c’est notre avenir. »
Hasard du calendrier, la CFDT Cheminots avait prévu une journée de débats au sujet du financement du ferroviaire, le 15 mai, en présence de nombreux acteurs du secteur dont le président du groupe SNCF, Jean-Pierre Farandou. Celui-ci n’a pas manqué de souligner que nier l’existence des corps intermédiaires dans la construction de l’avenir du rail est une « grave erreur ». « Un président qui ne saurait pas travailler avec les organisations syndicales, je lui souhaite bien du plaisir, vu l’ampleur des défis qui sont devant nous », a-t-il ajouté à l’intention de son successeur, qui devrait être nommé d’ici à l’été 2025.
La deuxième erreur, dont s’est étonné Olivier Jacquin, sénateur de la Meurthe-et-Moselle et membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, c’est l’absence du secteur aérien, alors que la décarbonation des transports est l’un des trois défis majeurs affichés par Ambition France Transports.
Enfin, et il y a urgence, la rénovation et la modernisation du réseau ne peuvent attendre 2040, pas plus que la nécessaire adaptation du matériel au changement climatique. Les attentes du secteur ferroviaire – outil essentiel pour la cohésion des territoires, la circulation des biens et des personnes et l’accélération de la transition écologique – sont donc extrêmement fortes. Dans « l’écosystème transports », qui demeure le secteur le plus polluant avec plus de 30 % des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays, le train ne représente que 0,3 % de ces émissions.
Entre développement et attrition
Avec 28 000 km de voies ferrées, la France dispose du deuxième réseau ferroviaire européen et du premier en nombre de kilomètres par habitant, avec 2 700 kilomètres de lignes à grande vitesse et 3 000 gares. Si l’essentiel de la part modale revient à la route, le rail transporte 5 millions de voyageurs et 300 000 tonnes de marchandises chaque jour. Le ferroviaire a un coût (en 2024, la dette de la SNCF est estimée à 25 milliards d’euros) mais c’est aussi un patrimoine de plus de 100 milliards d’euros, 300 000 emplois directs (dont 150 000 cheminots maison SNCF) et 1 million d’emplois indirects.
« Les grands réseaux sont achevés. Il n’y a plus beaucoup de grandes lignes à construire. La question porte donc essentiellement sur la rénovation de l’existant et sur les contraintes que le changement climatique va imposer aux nouvelles structures », explique Michel Savy, directeur de l’Observatoire des politiques et des stratégies de transport en Europe. Le tout premier enjeu du ferroviaire en France, c’est donc l’état du réseau. « On ne se rend pas compte que le réseau va mal, la SNCF réalise des bénéfices, le trafic est en hausse depuis la crise Covid mais, en l’absence de financements immédiats, les impacts se feront sentir à très court terme, alerte Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau. Une voie non entretenue pendant cinq ans obligera les trains à réduire de moitié leur vitesse. Ça va très vite. Dès 2028, il pourrait y avoir 4 000 km de voies dans cette situation, plus de 10 000 km en 2032. Presque toute la France sera touchée, avec pour conséquence une baisse du nombre de trains, voire la fermeture de lignes. »
Concurrence déloyale
Actuellement, la SNCF autofinance son réseau via un fonds de concours de 3 milliards d’euros chaque année. En revanche, les concurrents comme Trenitalia et Renfe s’acquittent uniquement des péages (de même que SNCF Voyageurs) et ne paient rien pour la maintenance des infrastructures. « En somme, les cheminots, grâce auxquels la SNCF réalise des bénéfices qui servent à financer l’entretien du réseau, payent l’outil de travail de leurs concurrents ! », s’agace Thomas Cavel. Une situation issue de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, qui a acté l’ouverture du réseau de transport de voyageurs à la concurrence. Cette loi prévoyait que la SNCF, désormais composée de sept sociétés anonymes détenues par l’État, devait naturellement réinvestir la richesse créée dans son système d’exploitation. « Tout à fait logique, en l’absence de concurrence, mais pas lorsqu’il s’agit d’un outil commun à plusieurs opérateurs », poursuit le secrétaire général de la CFDT Cheminots.
Il manque actuellement 1,5 milliard d’euros par an (voire 2 milliards d’euros si l’on tient compte du réseau des « petites lignes ») en vue d’entretenir le réseau et le moderniser. « Le groupe SNCF, quels que soient ses bons résultats, ne peut pas faire cela tout seul », estime Jean-Pierre Farandou.
“On a un mois pour faire de la pédagogie”
Des solutions existent. À commencer par l’évolution du fond de concours afin que tout le monde y contribue à terme. La fin de l’exonération du kérosène des avions et l’instauration d’une taxe poids lourds représentent plusieurs milliards d’euros de gains potentiels. L’écotaxe, qui n’a jamais vu le jour au niveau national (alors que les camions étrangers de marchandises représentent 42 % du transport routier en France) existe déjà dans plusieurs pays européens. En Suisse, elle rapporte plus d’un milliard d’euros par an permettant de financer les infrastructures ferroviaires ; et en Allemagne, la recette est de quatre milliards d’euros par an.
L’État français pourrait aussi flécher la taxe « brune » payée par les gestionnaires d’infrastructures de transports longue distance (aéroports et autoroutes), validée par le Conseil constitutionnel en 2024, vers le financement du réseau. « Nous savons que ce sont des choix politiques. On a un mois pour faire de la pédagogie », s’est engagé le président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou. La CFDT lui a remis un livret contenant ses dix propositions relatives à la conférence Ambition France Transports.
Les propositions de la CFDT pour l’avenir du ferroviaire
En premier lieu, la CFDT Cheminots revendique une véritable planification ferroviaire, qui n’existe pas encore, et ce, en dépit de l’article premier de la LOM (loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités), consacré à la programmation des investissements de l’État dans les transports. « Nous en avons besoin pour inscrire le développement du rail durablement dans son siècle et le protéger des aléas politiques. »
Ensuite, plaide la CFDT, il faut sortir de la logique de rentabilité subie par le ferroviaire, où seuls les coûts sont mis en avant tandis que les gains générés restent un impensé de l’équation du financement. Il serait plus juste de mettre en place un « taux de rentabilité économique, sociale et écologique » composé d’un ensemble d’indicateurs, dont la part du ferroviaire dans le PIB, le nombre global d’emplois de la filière, les externalités négatives évitées, etc.
Un autre point très important est de réfléchir à l’échelle européenne (les débats l’ont souligné à maintes reprises lors de cette séance) en appelant à un green deal ferroviaire européen. Selon la CFDT Cheminots, cela permettrait de régler la question des ressources (l’actuel fonds de concours) avec la création d’un fonds d’investissement européen alignant les contributions nationales et celles des opérateurs des différents pays.
La question de la tarification et de la péréquation doit aussi être évoquée, afin d’inciter les entreprises ferroviaires à ne pas se satisfaire des seules dessertes rentables. La CFDT Cheminots propose une « tarification d’utilité sociale et de service public » qui modifierait la politique de prix des péages pour garantir l’équilibre des territoires et le droit à la mobilité de tous les citoyens. « Une personne sur trois a déjà renoncé à un emploi faute de moyen de transport, 15 millions de personnes sont en situation de précarité en matière de mobilité. Le ferroviaire est une solution de désenclavement et d’égalité, c’est une solution démocratique », poursuit Thomas Cavel.
De l’attractivité des métiers du ferroviaire
Lutter contre le désenclavement passe enfin par l’attractivité des métiers du ferroviaire, pour lesquels il faut un cadre social de haut niveau capable d’attirer, de former et de fidéliser les compétences. « Ce réseau est notre bien commun, il est impensable de tergiverser à propos d’un outil qui fait du bien à l’économie, à l’environnement, aux territoires et aux usagers », conclut-il. Espérons que les différents acteurs présents le 15 mai porteront avec autant de ferveur cette conviction tout au long des travaux de la conférence nationale, lesquels doivent aboutir à la mi-juillet avec la remise au Premier ministre d’un rapport de synthèse.