La vente de Grosfillex suscite l’inquiétude de ses salariés

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icone Extrait de l'hebdo n°3984

Symbole du dynamisme industriel de l’Ain, l’entreprise quasi centenaire Grosfillex devrait être vendue à un fonds de retournement à la fin octobre. Ces dernières semaines, les salariés et leurs représentants syndicaux ont multiplié les alertes auprès des élus pour éviter une casse sociale.

Par Anne-Sophie BallePublié le 28/10/2025 à 13h00

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© Syndheb

Au début, il y a eu la tournerie de bois, un savoir-faire développé par les trois frères Grosfillex, dès 1927, à Oyonnax (Ain / Auvergne-Rhône-Alpes) ; puis les premières injections de résine, après-guerre, et le développement du PVC1 en guise de réponse aux demandes des consommateurs ne jurant progressivement plus que par le plastique. La « chaise monobloc » 100 % résine et les chaises longues « bain de soleil », produits phares de la marque, s’imposaient alors petit à petit dans tous les jardins français. « Innover constamment dans des matériaux toujours plus performants pour en faire des produits ingénieux et esthétiques, c’était la signature Grosfillex », résume Laurent, délégué syndical central (DSC) de cette petite entreprise familiale devenue « le fleuron historique de la “Plastics Vallée” et le symbole d’un certain dynamisme industriel du bassin d’Oyonnax ».

La famille Grosfillex ne veut plus investir

Mais, ces dernières années, l’innovation est tarie chez Grosfillex, si bien que ses 550 salariés se demandent si l’entreprise fêtera ses 100 ans en 2027. Sur le site de Montréal-la-Cluse, qui produit le mobilier de jardin, le chiffre d’affaires a fondu, passant de 60 millions d’euros en 2022 à 30 millions aujourd’hui. « La famille ne veut plus investir, y compris dans nos presses, qui ont plus de 40 ans », précise Laurent. À Arbent (qui produit encore 350 menuiseries en moyenne par jour), une nouvelle ligne automatique de production a bien été installée en 2020 mais les commandes ne sont plus au rendez-vous. « L’incertitude politique actuelle n’aide pas les industriels à avoir une vision stratégique et prospective », poursuit Sandrine, déléguée syndicale du site d’Arbent.

L’inquiétude des salariés et de leurs élus est provoquée par la mise en vente du groupe par la famille Grosfillex, mais surtout par le projet de cession au fonds de retournement EIM, spécialiste de la reprise d’entreprises en difficulté et dont les méthodes – déjà expérimentées dans d’autres entreprises voisines – ne laissent rien présager de bon. « On entend parler d’APC [accord de performance collective], qui contourne toute notion de dialogue social, et de pressions exercées sur les salariés qui refusent », rapportait un représentant du personnel au cours d’une réunion de crise organisée fin septembre à l’UPI2 d’Oyonnax. « Dès l’info-consult du 27 août, le CSE a mandaté un cabinet d’expertise (Syndex) et un avocat pour analyser le projet de reprise et comprendre ce qu’il y avait derrière en termes d’emplois », développe Christophe Bourillon, représentant l’UPI CFDT d’Oyonnax.

La crainte du plan social

L’emploi… c’est bien là la crainte de tous les salariés. « Le plan social est dans toutes les têtes, de même que le risque de voir la production délocalisée, alors que l’excellence de Grosfillex est liée à son savoir-faire local », précise Laurent. Lors des premières rencontres avec les repreneurs, courant septembre 2025, « on nous a annoncé 60 suppressions d’emploi, mais on sait que c’est un début ; on craint l’effet cascade, poursuit un élu CFDT. Grosfillex fait vivre directement 550 salariés sur le bassin, presque 2 000 si l’on tient compte des sous-traitants et entreprises partenaires ». Au-delà des questions légitimes que soulève ce projet de reprise, ces militants s’inquiètent du peu de transparence qui entoure la cession du groupe et évoquent un manque de dialogue qui fragilise la confiance des salariés.

Alors, depuis la fin septembre, les élus Grosfillex, accompagnés des militants de l’interpro local, multiplient les alertes auprès des pouvoirs publics. « Aujourd’hui, nous ne savons pas où nous allons, mais nous savons ce que nous ne voulons pas : voir disparaître un fleuron industriel ! », plaidait Laurent devant les représentants de l’État (Région, Haut-Bugey Agglomération, maires des communes concernées…), visiblement sensibles à la situation. Depuis, les choses bougent : un commissaire régional aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises3 (CRP) a rencontré la famille Grosfillex et le fonds EIM afin de s’assurer que l’activité restera bien en France. Selon nos informations, un commissaire national aurait également été mandaté pour suivre le dossier et rencontrer les repreneurs.

“Le temps joue contre nous”

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

À Arbent et Montréal-la-Cluse, les salariés attendent avec une certaine anxiété des garanties sur la pérennité de leurs postes. Des assemblées générales, organisées le 16 octobre dernier, ont permis d’informer les salariés de l’avancée des discussions et d’obtenir une prime selon l'ancienneté de chacun… mais cela ne suffira pas. « L’urgence est de préserver le plus grand nombre d’emplois. Nous savons que les élus suivent le dossier et nous maintenons la pression autant que faire se peut. Mais le temps joue contre nous », admet Laurent. La vente, elle, pourrait être finalisée le 30 octobre…

Réactiver la Commission paritaire du Haut-Bugey

Christophe Bourillon et son homologue cégétiste Joseph Tavel en sont persuadés : le Haut-Bugey mérite d’avoir une instance de dialogue social pour discuter des difficultés d’emploi rencontrées sur le bassin. D’après les échos qu’ils en ont (via leurs délégués syndicaux respectifs), nombre d’entreprises ont actuellement choisi le chômage partiel pour une durée comprise entre quatre et huit jours par mois en moyenne. Plusieurs moulistes seraient au bord du dépôt de bilan. « La situation est compliquée », assurent-ils. Aussi souhaitent-ils voir renaître la Commission paritaire du Haut-Bugey, créée en 2009 à l’initiative des organisations syndicales régionales.

Unique en France, cette instance de dialogue social dans le secteur de la plasturgie permettait de mettre autour de la table l’État, la Région, le département et l’agglomération en vue de remonter les problématiques rencontrées sur le terrain et d’anticiper les besoins d’accompagnement locaux. « Dans les années 2010, on a pu anticiper moult plans sociaux et ouvrir un certain nombre de portes », témoignent les deux acteurs syndicaux, persuadés que, dans le contexte actuel, une telle instance permettrait sans doute d’éviter de nouvelles défaillances d’entreprises. « Globaliser plutôt que superposer les dispositifs » : tel semble être le mantra des deux responsables locaux.