La culture scientifique malmenée

icone Extrait du  magazine n°518

À Paris, la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte emploient 1 065 agents chargés de faire rayonner la culture scientifique. Une mission aujourd’hui mise à mal. Reportage.

Par Marie DURIBREUXPublié le 10/12/2025 à 10h05

Nathalie Sitruk, Kadija Amadouche et Marc Eden Afework, élus CSE CFDT d’Universcience.
Nathalie Sitruk, Kadija Amadouche et Marc Eden Afework, élus CSE CFDT d’Universcience.© Marion Esquerré

 Ils sont une quarantaine à tenir le piquet de grève, ce matin-là, devant le bâtiment principal de la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris 19e. C’est déjà la troisième mobilisation du personnel de la sûreté depuis le 19 septembre. La société sous-traitante qui les emploie veut rogner leurs primes, une fois de plus. Le parvis est désert, et pour cause : sans dispositif de sécurité, ce haut lieu des sciences situé dans l’Est parisien ne peut ouvrir ses portes.

La CFDT d’Universcience a dénoncé à plusieurs reprises la dégradation des conditions de travail.
La CFDT d’Universcience a dénoncé à plusieurs reprises la dégradation des conditions de travail.© Marion Esquerré

La CFDT d’Universcience (établissement public qui englobe la Cité des sciences et le Palais de la découverte) est aussi là, en soutien. « N’arrêtez pas le travail sur des périodes trop longues, vous allez perdre de l’argent et ce sera dur de tenir… Débrayez plutôt une heure par-ci par-là », conseille Marc Eden Afework, délégué syndical (DS) et élu au CSE.

Selon les cinq élus d’Universcience – Anissa, Hassan, Kadija, Marc Eden et Nathalie –, les conditions de travail sur le site se dégradent depuis plusieurs années. Les mouvements sociaux, chez Universcience ou dans ses nombreuses sociétés sous-traitantes, se multiplient. Ainsi, les agents affectés à la Cité des bébés, qui a ouvert ses portes en décembre 2024, s’apprêtent à se mobiliser (un préavis de grève a été déposé) tandis que les personnels des quais de livraison ont fait savoir qu’ils étaient prêts à débrayer.

Ambiance de “fin de règne”

Ce malaise social s’explique en partie par les incertitudes croissantes concernant la pérennité de l’établissement public. Fermé depuis plus de cinq ans pour travaux, le Palais de la découverte ne rouvrira pas avant la fin 2026, dans le meilleur des cas. Ce temple de la culture scientifique – sous double tutelle des ministères de la Culture et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace – partage le Grand Palais avec la Réunion des musées nationaux, sous la coupe exclusive du premier. La cohabitation est tendue, sur fond de lutte d’influence entre les deux ministères.

Ce n’est pas le seul motif d’inquiétude : la Cité des sciences, l’autre site d’Universcience, est également en grande fragilité. L’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) a chiffré le coût des travaux de rénovation des bâtiments et de désamiantage à plus d’un milliard d’euros. Toutes les options seraient sur la table, dont la démolition du lieu, inauguré en 1986.

Ascenseurs hors service, zones condamnées, expositions fermées, fuites : le grand hall d’accueil prend l’eau au sens propre comme au sens figuré… « Ce fleuron de la culture scientifique publique était au cœur d’un projet de vulgarisation scientifique qui avait et a toujours du sens, mais on ne lui donne plus les moyens de fonctionner correctement, estime Nathalie Sitruk, secrétaire CFDT du CSE. Cela se ressent sur les expositions proposées et les conditions de travail des agents. »

Une sous-traitance en expansion

La CFDT dénonce notamment la priorité donnée à la sous-traitance, que ce soit pour la sécurité, le ménage ou la maintenance. La conception même des expositions est de plus en plus externalisée. « On ne fait pas, on fait faire : on transforme les gens en gestionnaires de marchés », résume Nathalie, arrivée à la Cité en 1987.

De quoi alimenter les craintes d’une vente à la découpe au privé, selon les élus CFDT. « La quatrième travée, dont la surface équivaut à celle de Beaubourg, a été cédée il y a plusieurs années au promoteur Apsys, qui y a ouvert un centre commercial baptisé Boom Boom Villette, en 2024, avec un projet axé sur la street food », raconte, un rien dépité, Marc Eden.

Pourtant, la Cité n’a pas démérité. Certes, la fréquentation d’Universcience, qui a plongé en 2020, n’a pas retrouvé son niveau d’avant Covid, lorsqu’elle frôlait les trois millions de visiteurs. Si elle s’est bien redressée en 2023 (2,4 millions de visiteurs), elle a connu un nouveau trou d’air pendant les JO.

Au-delà de la défense de la culture scientifique, les élus souhaitent que la direction prenne à bras-le-corps la question de l’amélioration des conditions de travail. Le malaise est aujourd’hui palpable. L’expertise annuelle (rendue fin août au CSE) relative à la situation sociale est claire : « Un volume de postes CDI significatif [50 postes] est vacant ou le sera d’ici à la fin de l’année, ce qui peut poser question sur l’organisation du travail et/ou la charge de travail. » Signe révélateur, en 2024, le taux d’absentéisme, en progression de 10 %, a atteint son plus haut niveau depuis cinq ans. « Les agents se mettent en arrêt maladie, partent avant la fin de leur période d’essai, font des burn-out », résume Nathalie.

Or les élus CFDT ne peuvent malheureusement pas compter sur le dialogue social, « au pointmort » depuis longtemps. Seule consolation, pour l’heure : l’action en justice visant à défendre les moyens attribués aux élus du CSE, gagnée en juillet 2025 .

Créé par décret à la fin 2009, l’établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) baptisé Universcience réunit
le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie. Financé à 72 % par des subventions de l’État et à 28 % par des ressources propres, il emploie 1 065 agents dont 73 fonctionnaires (historiquement les anciens du Palais). Cette différence de statut pose un problème car les agents publics ne bénéficient pas, par exemple, de la prime de fin d’année, à l’instar de leurs collègues, au grand dam de la CFDT.

Au printemps, deux événements ont déstabilisé cette institution. D’une part, son président, Bruno Maquart, a été limogé par les tutelles, sans explication. D’autre part, le gouvernement a lancé une mission d’inspection pour évaluer à la fois le schéma directeur immobilier, le modèle économique et le projet culturel et scientifique de la Cité des sciences. Manifestement, des changements sont à venir…