Chez SNV, la CFDT veut booster le collectif

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iconeExtrait de l’hebdo n°3882

Majoritaire au sein du groupe volailler LDC (marques Loué, Le Gaulois, Maître CoQ…), dont fait partie SNV, la CFDT bataille pour se développer dans certains sites. Elle porte une attention particulière aux conditions de travail éprouvantes des salariés et souhaite redonner aux salariés le goût du collectif. Reportage à l’usine de Rives-d’Andaine (Orne / Normandie), où la section prépare activement les élections de novembre.

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 11/07/2023 à 12h00

De gauche à droite : Régis Jouin, Bernard Guillemin,   Séverine Heudiard, Jérôme Désonnais, Sylvie Vivier et Nicolas Devanne.
De gauche à droite : Régis Jouin, Bernard Guillemin, Séverine Heudiard, Jérôme Désonnais, Sylvie Vivier et Nicolas Devanne.© Syndheb

Il est près de 12 h 30, l’heure d’embauche de l’équipe de l’après-midi chez SNV (entreprise de découpe et de transformation de volailles pour les marques Loué, Le Gaulois, etc.). Un jeune salarié se hâte vers le portique d’entrée. « C’est pour les salaires ? », demande-t-il, sans lever les yeux, en prenant le tract que lui tend Nicolas Devanne, le délégué syndical central (DSC). Il ne sera d’ailleurs pas le seul à s’enquérir de la raison de cette distribution, effectuée au début du mois de juin par des militants CFDT sous un soleil de plomb.

Non, ce jour-là, si la fine équipe est venue tracter à Rives-d’Andaine, c’est pour inciter des salariés à rejoindre la CFDT en vue des élections CSE prévues en novembre 2023. « On veut rameuter le plus de monde possible ! », indique Nicolas, tout en continuant à distribuer des tracts aux salariés qui embauchent ou débauchent. La marche est haute, il le sait. Dans cette usine où travaillent près d’un millier de personnes, en grande majorité des ouvriers, la CFDT est troisième organisation syndicale (derrière un syndicat FO « maison », qui caracole en tête avec 49 % des suffrages, et la CGT, proche des 20 %). « Le contexte syndical est compliqué. Mais on sait que beaucoup de personnes sont prêtes à nous suivre. »

L’appui précieux apporté par les anciens

Pour renforcer l’équipe de distribution, Nicolas a sollicité deux compères, Bernard Guillemin et Régis Jouin. Le premier a fêté ses 62 ans, est ancien délégué syndical du site… et retraité depuis trois mois. Le second, 60 ans, ex-DSC, était cariste sur le site SNV de la zone industrielle du Pont-Morin (distant d’un kilomètre seulement, il est spécialisé dans les produits fumés et rôtis et emploie 140 personnes). « Ils sont toujours là pour donner un coup de main. Les avoir, c’est un appui précieux, sourit Nicolas. Leur expérience nous est très utile. Ils nous font profiter de leurs connaissances de l’entreprise, de leurs contacts. » Une parole qui se confirme lorsque l’on voit avec quel enthousiasme les salariés de l’usine reconnaissent Bernard et s’adressent à lui. « Alors, le retraité, t’as l’air en pleine forme ! », lance une salariée, ex-collègue de Bernard à l’atelier « découpe poulet », où il était opérateur.

1. Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

Une autre salariée, Isabelle, elle aussi ancienne collègue de Bernard, en oublierait presque qu’il n’est plus délégué syndical et lui confie ses difficultés. « Il fait 5 °C dans l’atelier. C’est devenu trop dur. Je ne supporte plus le froid. Quand je sors de là, j’ai mal partout », explique cette ouvrière de 57 ans qui travaille depuis qu’elle a « 19 ans et quatre mois ». Problèmes de dos, de canal carpien, d’arthrose, de cœur… : Isabelle égrène tous les maux qui l’ont conduite récemment à faire une demande de RQTH1. « Ça fait bientôt quarante ans que je travaille, je ne veux pas mourir ici ! » Touché, Bernard fera remonter l’information dans l’après-midi à une responsable santé et sécurité du site croisée devant l’usine.

“Pas facile de parler de syndicalisme ici”

Tout le temps que durent la distribution de tracts et la conversation, derrière les grilles de l’usine, le ballet des camions ne cesse jamais : il y a ceux qui apportent les centaines d’animaux vivants en cages et les déchargent devant la porte de l’abattoir et ceux qui, de l’autre côté du bâtiment, repartent avec des palettes de poulets, dindes ou lapins prêtes à être livrées dans les enseignes de la grande distribution. « Chez nous, les conditions de travail sont connues pour être difficiles », note Sylvie Vivier, déléguée syndicale élue au CSE. Elle sait de quoi elle parle : à 58 ans, elle a passé vingt-deux années de sa vie professionnelle dans l’atelier de l’abattoir, considéré comme le plus dur de l’usine. « Les cadences, les gestes répétitifs, les horaires décalés, les levers au milieu de la nuit pour embaucher à 5 heures… Beaucoup de salariés ont des restrictions médicales tant le boulot les a abîmés », ajoute Séverine Heudiard, autre déléguée syndicale, 43 ans dont vingt-quatre chez SNV, qui travaille à l’atelier « conditionnement poulet ».

« Syndicalement, il y a beaucoup à faire. » Mais, reconnaît son inséparable binôme, Jérôme Désonnais, « il n’est pas facile de parler de syndicalisme ici. Une grande partie des salariés n’ont pas envie de s’en préoccuper. Ils viennent à l’usine, font le boulot et repartent chez eux. Ils préfèrent rester à l’écart… » Appréhension liée au fait de se syndiquer, méfiance, indifférence ? Le jeune militant de 42 ans, récent adhérent de la CFDT, élu au CSE depuis avril 2023, souligne les difficultés à faire vivre un collectif dans une entreprise où « les gens ne cherchent pas forcément à aller vers les autres. Pendant les pauses, chacun est sur son portable. Le Covid nous a fait du mal et, depuis, les gens ont perdu l’habitude de se retrouver. » Et puis la multiplicité de nationalités des salariés ou des intérimaires (et donc de langues parlées) n’aide pas à construire un collectif. « Afghans, Turcs, Sénégalais… On a aussi eu pendant quelques mois des salariés roumains venus avec leur traductrice », précise Jérôme.

Un chantier de réorganisation du site

Cependant, les militants ne baissent pas les bras devant les difficultés. « On veut être là pour les salariés », clament les membres de l’équipe. « La CFDT a été la seule organisation syndicale à s’occuper vraiment de mon cas [Jérôme n’avait pas été recruté au bon coefficient]. Et une fois le problème réglé, ce sont les seules personnes à m’avoir demandé des nouvelles. Pour moi, il ne faisait aucun doute que c’était là que je voulais adhérer. » Et c’est évidemment cette forme de syndicalisme qu’il souhaite faire vivre dans l’usine. Depuis son adhésion, le tandem qu’il forme avec Séverine fait des tournées d’atelier pour écouter les difficultés, faire remonter les problèmes et apporter des réponses.

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Parmi leurs prochains gros dossiers se profile le vaste chantier de réorganisation du site : la direction a décidé de spécialiser chaque site du groupe sur une activité en particulier. À Rives-d’Andaine, cela va se traduire par l’arrêt de l’activité dinde (abattage et découpe) et l’augmentation de l’activité poulet afin de répondre à la nouvelle tendance du marché : explosion de la demande de poulet et baisse de la consommation de dinde. Les travaux devraient commencer l’an prochain, avec une mise en service de la nouvelle usine en 2025. « Ça commence à provoquer quelques inquiétudes », note Nicolas, préoccupé par les conséquences que cette réorganisation aura sur les salariés. Ce sujet, l’équipe CFDT compte bien le suivre et l’accompagner… mais cela nécessite, entre autres, de se renforcer dès les prochaines élections professionnelles !

À propos de SNV

Plus gros employeur du département de l’Orne (devant l’équipementier Faurecia), SNV compte sept sites dont celui de Rives-d’Andaine, où a eu lieu la distribution de tracts, le 8 juin dernier, et celui de La Chapelle-d’Andaine (140 salariés), où travaille le délégué syndical central Nicolas Devanne.