Indemnisation des victimes d’accident du travail : le gouvernement doit revoir sa copie

temps de lectureTemps de lecture 5 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3894

L’article 39 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) – qui entend plafonner l’indemnisation des victimes d’accident du travail et de maladie professionnelle en cas de faute inexcusable de l’employeur – a provoqué un tollé de la part des organisations syndicales, qui ne retrouvent pas l’esprit de l’ANI “branche AT-MP” qu’elles ont signé en mai 2023.

Par Claire Nillus— Publié le 31/10/2023 à 13h00

image
© Jesús Mérida/Zuma-RÉA

1. Accord national interprofessionnel.

Au printemps dernier, les partenaires sociaux ont unanimement signé l’ANI1 intitulé « Branche AT/MP : un consensus social réaffirmé par une prévention ambitieuse, une réparation améliorée et une gouvernance paritaire renforcée ». Par cet accord, ils demandaient au législateur de prendre les mesures nécessaires afin d’améliorer le niveau des rentes servies aux victimes subissant une incapacité permanente reconnue (c’est-à-dire la perte définitive de la capacité de travailler en raison des conséquences de l’accident ou de la maladie). Cet ANI a donc un impact sur les dépenses de la branche AT-MP de la Sécurité sociale, d’où sa transposition dans un PLFSS. Mais la CFDT, de même que les autres organisations syndicales, a estimé qu’une partie de la rédaction de l’article 39 qui s’y réfère contredit ce qui est écrit dans l’ANI du 15 mai 2023.

Après avoir consulté les organisations signataires de l’accord, et constaté qu’elles avaient des avis divergents, le ministre du Travail leur a finalement demandé de se réunir de nouveau à ce sujet en vue de clarifier leur position commune.

L’évolution de la jurisprudence

Pour comprendre cette bataille, il faut avoir en tête les spécificités de notre système de réparation. Celui-ci repose sur un compromis entre syndicats et patronat qui permet aux travailleurs accidentés ou atteints d’une pathologie causée par l’exercice de leur métier d’obtenir rapidement – sans avoir à démontrer une faute de l’employeur – une rente forfaitaire. Cette rente est « duale » car elle est censée compenser, d’une part, la perte de salaire (c’est la rente dite patrimoniale) et, d’autre part, la baisse de qualité de vie de la victime (c’est la rente dite extrapatrimoniale). Or, en janvier dernier, la Cour de cassation a fait évoluer cette définition et considère désormais que cette rente ne couvrait plus systématiquement toutes les souffrances physiques et morales endurées. Par cette décision, elle donne la possibilité aux victimes ou à leurs ayants droit d’obtenir une réparation complémentaire, mais seulement en cas de « faute inexcusable de l’employeur ». Par-là, la justice entend que l’employeur, qui avait ou aurait dû avoir connaissance des risques encourus par le salarié, n’a pas pris toutes les mesures de prévention en lien avec ses obligations de sécurité et de santé au travail.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 39 cherche à limiter l’impact de la jurisprudence de janvier 2023 et instaure un plafonnement de la partie extrapatrimoniale de la rente afin d’en limiter le surcoût pour les entreprises. Inadmissible aux yeux des organisations syndicales, qui ont rappelé dans un courrier intersyndical daté du 16 octobre au ministre du Travail, Olivier Dussopt, leur désaccord. « Plafonner la réparation en cas de faute inexcusable de l’employeur, c’est vider de sa substance son obligation de prévention et de réparation, déclare Isabelle Mercier, secrétaire nationale. La CFDT souhaite avant tout que la définition et le niveau de la rente duale soient fixés sur proposition des partenaires sociaux en visant une amélioration du niveau des rentes à l’ensemble des victimes. C’est également aux partenaires sociaux de réaliser un diagnostic de l’indemnisation en cas de faute inexcusable de l’employeur. »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

Conformément à sa promesse de transposer fidèlement les accords nationaux interprofessionnels, le gouvernement a fini par retirer cette mesure du PLFSS et demande aux partenaires sociaux de faire des propositions en vue de sa réécriture. Les discussions sont en cours…