“Il existe des marges de manœuvre pour améliorer la vie des gens”

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icone Extrait de l'hebdo n°3965

Les difficultés budgétaires de l’État ne font pas disparaître celles des citoyens, alertent les membres du Pacte du pouvoir de vivre. Tandis que les urgences sociales et écologiques s’aggravent, il existe des solutions pour améliorer le quotidien des plus fragiles. Certaines pourraient être mises en œuvre rapidement, si le gouvernement cessait de les ignorer.

Par Claire NillusPublié le 13/05/2025 à 12h00

Les représentants des principales structures membres du Pacte du pouvoir de vivre étaient réunis, ce 6 mai, à Paris, pour une conférence de presse.
Les représentants des principales structures membres du Pacte du pouvoir de vivre étaient réunis, ce 6 mai, à Paris, pour une conférence de presse.©DR

« Si l’on continue à sacrifier des investissements nécessaires pour l’avenir, nous devrons les réaliser tôt ou tard dans l’urgence et à un coût plus élevé », a mis en garde Marylise Léon, lors de la conférence de presse organisée le 6 mai par le Pacte du pouvoir de vivre. « Agir sérieusement, pour nous, c’est investir dans la lutte contre la pauvreté, dans les transitions à l’œuvre et dans l’accès aux droits », a-t-elle enchaîné, rappelant que les 65 organisations réunies au sein du Pacte ont toutes pour particularité d’être en lien avec celles et ceux qui connaissent des conditions de vie difficiles.

Il n'est pas question de remettre en cause la nécessité de maîtriser la dette publique, insiste-t-elle. « Mais cela ne doit pas se faire au détriment des plus fragiles, ni au prix d’un renoncement à la transformation écologique. »

Or, sur tous les sujets qui comptent – se loger, se soigner, se déplacer – « le silence politique est pesant, incompréhensible, et en déconnexion avec ce que vivent les gens », affirme Amandine Lebreton-Garnier, directrice du Pacte du pouvoir de vivre. « Ces questions sont absentes du débat public, et lorsqu’elles sont abordées, c’est souvent pour réduire leurs ambitions, dire qu’elles sont trop complexes ou trop chères », déplore-t-elle.

Depuis la création, en 2019, du collectif du Pacte du pouvoir de vivre, ses membres ont déjà rédigé et défendu un ensemble de 90 propositions pour transformer notre modèle de société. Devant la presse, le 6 mai, ils ont abordé plus précisément quelques mesures concrètes, réalistes et surtout, finançables, dans un contexte budgétaire très contraint. « Depuis plusieurs mois, nous assistons à des reculs, des renoncements, des arbitrages financiers qui freinent la protection sociale et la transition écologique, précise Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement et porte-parole du Pacte. Mais il existe des dispositifs qui ont déjà fait leurs preuves, d’autres qui sont soutenus par les citoyens ou qui témoignent d’une certaine convergence politique et qui peuvent faire l’objet de décisions rapides pour améliorer le quotidien des personnes. »

Possibles à court et moyen terme

Parmi ces mesures concrètes et finançables, on retrouve par exemple la prolongation du dispositif d’expérimentation de l’encadrement de loyers dans les zones tendues, lequel doit prendre fin en novembre 2026. Là où il est appliqué, la Fondation pour le logement constate une baisse effective des loyers prohibitifs, et, par conséquent, un gain de pouvoir d’achat pour les locataires dans ces communes. « Ce dispositif fait baisser les prix et cette mesure ne coûte rien ! », assure Christophe Robert.

Loin des mesures incantatoires, la Mutualité française propose à son tour une expérimentation pour aider les huit millions de personnes qui vivent en France dans un désert médical. « Il n’y a pas de solution miracle, compte tenu de la démographie médicale qui continue de baisser et qui ne s’améliorera pas avant la prochaine décennie, défend Éric Chenut, président de la Fédération nationale de la mutualité française. Nous portons une proposition qui tient compte de cette réalité afin d’organiser autrement l’accès aux soins en s’appuyant sur des “équipes de soins traitantes” – sages-femmes, infirmiers, pharmaciens, kinés… –, tous professionnels de santé avec lesquels un médecin traitant peut interagir selon les besoins des patients. » Ces professionnels de santé pourraient se coordonner dans « Mon espace de santé », un dispositif solide et qui existe déjà. « Nous proposons de tester la mise en place de telles équipes dans plusieurs régions de France. »

Investir dans la transition écologique

« Gains pour la santé, création de centaines de milliers d’emplois, souveraineté énergétique : la transition écologique n’est pas un coût mais un investissement supérieur au coût du dérèglement climatique, a défendu de son côté Anne Bringault de Réseau Action Climat, développant l’exemple du leasing social pour les petits véhicules électriques. Ce dispositif, mis en place en 2024, a permis à 50 000 ménages de se procurer une voiture électrique, sous conditions de revenus et de besoins professionnels et moyennant un loyer d’environ 100 euros par mois, pour une durée d’au moins trois ans, entretien inclus et option d’achat possible en fin de contrat. « C’est aussi une opportunité pour les constructeurs automobiles », ajoute Anne Bringault. Mais dans le projet de loi de finances pour 2025, l’enveloppe mobilité a été divisée par deux et le leasing social a été sorti du budget. « Les bénéfices de ce système de leasing sont connus et nous demandons qu’il soit relancé. »

Parce que cette dernière mesure – comme la réforme des bourses étudiantes réclamée par la Fage et la CFDT – est encore tributaire des arbitrages de Bercy, la directrice générale d’Oxfam France, Cécile Duflot, est revenue sur la nécessité d’une réforme fiscale. La fiscalité des supers héritages, le renforcement des dispositifs contre l’évasion fiscale, la contribution des plus hauts revenus à l’effort supplémentaire demandé dans le prochain budget sont autant de dispositions qui éviteraient de faire supporter cet effort aux plus précaires. « Avec la restauration de l’impôt de solidarité sur la fortune [ISF] ou l’augmentation de la taxe sur les transactions financières [TTF], un certain nombre de ces mesures avaient été votées à l’Assemblée nationale, a-t-elle fait remarquer. De même que la taxation des superprofits, nous pensons que cela pourrait, là encore, être mis en œuvre rapidement. Il faut relancer le débat sur la justice fiscale. »

Cri d’alarme sur l’accès au droit et sur les libertés associatives

Le budget n’est pas le seul sujet sur lequel sont intervenus les membres du Pacte. Ils constatent avec inquiétude la multiplication des attaques contre d’autres piliers fondamentaux de notre démocratie : discours culpabilisants concernant les demandeurs d’emploi, remise en cause des droits des personnes étrangères, atteintes aux libertés associatives… Sur ce dernier point, Claire Thoury, la présidente du Mouvement associatif, demande que soit abrogé le contrat d’engagement républicain (CER), instauré par la loi du 24 août 2021, qui conditionne le financement des associations « au respect des principes républicains ». Ce CER menace la capacité de nombreuses associations à agir puisque la notion des « principes républicains à respecter » est si large qu’elle entraîne une appréciation arbitraire de la part des pouvoirs publics qui les subventionnent.

Stigmatisation des chômeurs

Pour ATD Quart Monde, enfin, c’est la réforme du RSA qui doit faire l’objet d’un moratoire : « Notre gouvernement ne lutte pas contre la pauvreté mais contre les pauvres », s’est indignée Marie-Aleth Grard, la présidente de l’association. Le décret sur les sanctions, appelé « suspension remobilisation » et dont l’application a été annoncée pour ce mois de juin, pèse sur le 1,8 million de personnes au RSA, obligatoirement et automatiquement inscrites à France Travail depuis le 1er janvier 2025. « Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion l’a lui-même décrété : les sanctions ne favorisent pas la reprise d’emploi. De plus, les agents de France Travail n’ont pas de moyens humains supplémentaires permettant d’absorber cette surcharge de travail. Nous avons des propositions pour changer les choses, avec un accompagnement dans la durée, et dans la confiance, comme l’a démontré “Territoire zéro chômeurs de longue durée”1 », a-t-elle ajouté.

Avec cette association, également membre du Pacte, l’expérimentation menée dans plus de 80 territoires a d’ores et permis d’embaucher 4 000 personnes en CDI, après cinq à sept années de chômage en moyenne. « C’est en agissant ainsi que l’on pourra combattre la peur du déclassement, apaiser les colères et lutter contre les idées d’extrême droite qui gagnent du terrain partout », soutient Christophe Robert. « C’est pourquoi nous demandons au gouvernement et aux parlementaires de sortir de leur immobilisme sur les sujets sociaux et écologiques essentiels, et nous voulons être pleinement intégrés dans la conférence des finances publiques qui a été initiée, afin que soient pris les arbitrages politiques et budgétaires nécessaires. »

« Que reste-t-il de l’intérêt général quand on détricote ce qui nous lie ? », demande Marylise Léon. « Nous sommes à la veille d’un point de bascule, les citoyens ne peuvent plus supporter des politiques qui les ignorent et les déshumanisent. »

Reçu par Édouard Philippe lorsqu’il était Premier ministre, le collectif n’a reçu aucune réponse aux courriers récemment envoyés à Matignon et au ministre de l’Économie, Éric Lombard. Du jamais vu. « Or, la seule voie pour restaurer la confiance avec nos concitoyens est d’organiser un dialogue avec la société civile organisée », répètent les associations du Pacte qui invitent tous ceux qui le souhaitent à venir débattre et échanger avec elles les 13 et 14 juin, lors d’un grand forum organisé à Nantes.

Forum « Reprendre le pouvoir sur nos vies »

Le Pacte du pouvoir de vivre, la République des Idées et le Lieu Unique convient citoyens, associations, syndicats, artistes et intellectuels à échanger pendant deux jours, les 13 et 14 juin, à Nantes, sur la manière de faire vivre la démocratie. L’objectif est de « se mettre d’accord sur nos désaccords, d’expliciter les non-dits et les malentendus, de comprendre ce qui coince quand on veut changer les choses ». Pour cela, le programme prévoit de nombreux ateliers et des tables rondes afin d’explorer les manières d’agir ensemble à partir de ce qui nous rapproche ou nous divise.

Plus d’infos sur www.pactedupouvoirdevivre.fr