François-Régis Gaudry - Le goût des autres abonné

Chaque dimanche matin, à l’heure du marché, François-Régis Gaudry et son équipe de fins gastronomes réveillent les papilles des auditeurs de France Inter. Pendant le confinement, l’émission « On va déguster » est passée au format XXL. La crise sanitaire révèle de nouvelles attentes chez les consommateurs et amène les professionnels à réinventer leur métier. Entretien.

Par Marie-Nadine Eltchaninoff— Publié le 18/07/2020 à 08h00

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Les cafés et restaurants ont rouvert le 2 juin pour le plus grand bonheur des clients, mais la crise risque d’être sévère dans ce secteur. Quel est l’état d’esprit de vos amis restaurateurs ?

C’est évident, la crise sanitaire va faire des dégâts. Je crains des effets à retardement à l’automne prochain, les petites structures qui n’ont pas beaucoup de trésorerie risquent de fermer. Les responsables du secteur de la restauration anticipent une baisse de l’ordre de 25 à 30 % de leur activité. Certains grands établissements à Paris, sur la Côte d’Azur ou dans les métropoles régionales seront aussi en difficulté car ils dépendent en grande partie de la clientèle étrangère. Avec cette crise sanitaire, c’est un peu notre identité qui est atteinte. Nous sommes appréciés pour notre tradition culinaire et notre convivialité. Quand on a un événement à fêter, en France, on casse sa tirelire pour un bon repas, cela fait partie de notre culture. Ce n’est pas un hasard si le repas gastronomique des Français a été classé au patrimoine de l’Unesco.

Le confinement a-t-il fait naître de nouvelles idées chez les chefs ?

Absolument ! Un chef que j’aime beaucoup, Alexandre Bourdas [deux étoiles au Guide Michelin], qui tient à Honfleur le restaurant SaQuaNa, s’est mis à faire des sushis à emporter qui n’ont rien à envier à ceux dont on peut se régaler au Japon. Il a d’ailleurs été élève dans le restaurant japonais de Michel Bras. Il vend ses plateaux de sushis 12 euros, c’est moins cher que dans la grande distribution et la qualité est bien supérieure. À raison de 200 plateaux par jour, sa femme et lui ont même réussi à augmenter leur chiffre d’affaires. D’autres se sont aussi lancés, avec succès, dans la vente à emporter, au point que certains se posent la question de l’intérêt de reprendre leur activité de restauration classique, avec les frais de matériel et de personnel que cela suppose.

Voyez-vous des évolutions se dessiner sur fond de crise ?

Il y a une énergie incroyable chez les professionnels des métiers de bouche. J’ai commencé à exercer le métier de journaliste gastronomique à la fin des années 90. On sortait des années 80 et de l’effervescence autour de la nouvelle cuisine. Le contexte international était très anxiogène, la guerre du Golfe avait plombé l’économie et la consommation. Les gens avaient moins de moyens. Et c’est pourtant dans cette période de crise qu’est née la bistrogastronomie, ou bistronomie, à l’initiative d’Yves Camdeborde, ce chef béarnais qui a décidé de prendre la tête d’un petit bistrot près de la porte d’Orléans, à Paris, dans un quartier pas vraiment attrayant. Ce restaurant, La Régalade, a marqué les années 90. C’est dans la contrainte, dans un contexte assez morose que de nouvelles formes de restauration se sont créées.

Vous avez bon espoir ?

Le métier se réinvente à vitesse grand V. Je vois de jeunes chefs, entre 17 et 30 ans, qui embrassent ce métier avec des convictions éthiques, sociales et humaines que n’avaient pas forcément leurs aînés. Une nouvelle génération éveillée, engagée, veut jouer un rôle dans la façon dont nous allons construire le monde de demain. Il y a une prise de conscience qui m’étonne beaucoup.

Par rapport à l’écologie, par exemple ?

Oui, notamment. Aujourd’hui, les élèves en école hôtelière râlent parce qu’on leur apprend à émonder des tomates au mois de décembre, ils trouvent que ça n’a pas de sens ! C’est une génération qui veut se tourner vers une gastronomie plus écoresponsable, plus éthique, plus respectueuse aussi de la rémunération des producteurs, plus éloignée d’un système agricole qui court à sa perte, avec une agriculture productiviste à bout de souffle. On voit désormais une génération de…

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