Jeune, fille d’immigrés algériens et écrivain à succès, Faïza Guène est un ovni dans le monde des lettres. Son humour et son style très direct sont la marque de fabrique de cette auteure qui, à 30 ans, a déjà publié quatre romans. Le dernier, Un homme, ça ne pleure pas, s’attaque à un sujet sensible : la difficulté de s’émanciper de sa famille. Rencontre.

Le narrateur de votre dernier roman est un jeune homme d’origine algérienne qui peine à s’émanciper de sa famille. La question de l’identité est-elle au cœur de votre travail ?
Son parcours 1985 Naissance à Bobigny (Seine-Saint-Denis). 2004 Publie Kiffe kiffe demain. Un roman qui raconte les rêves et les amours d’une jeune fille de 15 ans en banlieue parisienne. Le roman se vend à 400 000 exemplaires et est traduit en 26 langues. 2006 Sortie de son troisième roman Du rêve pour les oufs. 2008 Publie Les Gens du Balto. Un roman choral au cœur du bar de Joigny-les-Deux-Bouts, petite bourgade tranquille en fin de ligne du RER. 2014 Publie Un homme, ça ne pleure pas. Son quatrième roman. |
Lorsque j’écris un roman, j’aborde la question de l’identité, mais pas de l’identité « immigrée » comme peut sembler le sous-entendre votre question. Kiffe kiffe demain, c’est avant tout l’histoire d’une jeune fille de 15 ans, de ses envies, de ses rêves. Son origine est secondaire. Et dans mon dernier livre, je raconte l’histoire d’un jeune homme, Mourad, qui est en construction identitaire. Il doit décider ce qu’il garde de l’éducation qu’il a reçue, ce qu’il fait de cet héritage, quel tri il opère. Tout le monde est confronté à ces questions en grandissant. Doit-on forcément répondre aux attentes de ses parents ? Peut-on être heureux si l’on est en rupture totale avec sa famille ? Ce sont des sujets universels. Le livre a une couleur particulière, un ton spécifique, parce que la famille est algérienne, mais ce n’est pas le sujet du livre. Ça fait partie du décor. Je n’ai surtout pas voulu faire un roman qui montre comment vit une famille arabe à Nice. Je ne suis pas dans une approche sociologique. Ce que j’aime, c’est me mettre dans la peau d’un personnage et, au fil de la plume, le faire évoluer. C’est pourquoi j’écris toujours à la première personne. J’aime l’idée que le lecteur se sente interpellé par le narrateur. Mon ambition est de faire des romans populaires au sens noble du terme, c’est-à-dire des romans dont les héros sont des gens ordinaires.
Pourtant, sur un ton léger, vous abordez des sujets sensibles liés à l’immigration, comme la question du foulard ou cellede l’intégration sociale.
J’aborde ces questions car elles m’intéressent, elles font partie de mon quotidien, mais elles ne sont pas au cœur de mon travail. Je ne défends pas, à travers mes romans, une cause. La question du voile, par exemple, n’est pas un combat pour moi. D’ailleurs, dans mon dernier ouvrage, je soulève la question sans apporter de réponse. Mon combat serait plutôt de dire : A-t-on le droit d’avoir un avis différent ? Gauche, droite, riche, pauvre, tout le monde trouve scandaleux qu’une femme porte un voile, que c’est une entrave à sa liberté. Peut-on imaginer cinq secondes que des femmes choisissent de le porter.
Le voile n’est pas pour moi quelque chose d’étranger, que je regarde de loin d’un air ébahi. C’est banal. Je côtoie des femmes voilées et heureuses. Qu’on leur foute la paix. Quand je dis cela, je ne cherche pas la polémique. Je suis née en 1985. Je suis d’une autre génération que les féministes des années 70. On n’a plus les mêmes combats aujourd’hui, plus le même regard sur ce que c’est qu’être une femme libre. Je n’accepte pas que le magazine Elle, un parti politique ou des associations féministes me disent comment je dois être libre.
Justement, avez-vous le sentiment que le regard de la société a changé ces dix dernières années sur l’immigration et sur les générations qui en sont issues ?
La problématique s’est déplacée. Le débat ne porte plus sur le droit à la différence ou sur l’appartenance à une double culture. Tout se focalise sur la religion. Je suis beaucoup moins optimiste aujourd’hui qu’il y a dix ans. J’ai le sentiment qu’une génération s’est sentie trahie par la République, par la mère patrie. Derrière le discours « Je vous aime tous pareil… », elle entend aujourd’hui « … pas tout à fait quand même ». Comme beaucoup d’immigrés, mes parents pensaient retourner vivre au pays. Pendant toute mon enfance, j’ai entendu : « Tu dois te comporter en France comme une invitée. » J’ai parfois le sentiment qu’on en est encore là.
Suite à la tuerie de Charlie Hebdo notamment, j’ai été blessée de devoir me justifier en tant que personne issue de l’immigration, de devoir « rassurer » la population sur ce que je pensais des fous qui ont perpétré l’attentat. J’ai été choquée, comme tout le monde, mais le discours ambiant qui se résume à « L’ennemi est parmi nous » est dérangeant. Le réveil est amer pour une partie de la population qui a immigré en France, a fait des sacrifices pour vivre dans un pays sans en maîtriser ni la langue ni les codes, et voit aujourd’hui que ses enfants qui, eux, sont allés à l’école ne sont pas pour autant totalement reconnus comme des Français à part entière.
En tant qu’auteure reconnue, vous êtes amenée à parler au nom de cette génération issue de l’immigration.
Je suis dans une situation schizophrénique. Je ne souhaite pas être porte-parole de qui que ce soit, mais je sens bien qu’il y a une attente d’une partie de la population. Je le fais car j’estime que c’est important, mais je le vis comme un échec de l’intégration. C’est comme en politique : on aimerait qu’il n’y ait pas besoin de quotas pour assurer la représentativité des femmes, que leur présence soit la conséquence d’un système qui fonctionne normalement. Idem pour les ministres issus de l’immigration. C’est important qu’il y en ait, mais cela ne devrait plus être un critère de choix. Cela devrait être la conséquence d’un processus banal d’intégration, le fruit d’un système scolaire efficace. Nous n’en sommes pas encore là.
Le regard que l’on porte sur votre…
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