“En période de plein-emploi, les employeurs chercheront à augmenter les heures de travail ”

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L’ère du temps

Directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Frédéric Lerais s’est notamment intéressé aux conséquences des 35 heures sur l’emploi.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 30/09/2022 à 09h00

Directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales. Il s’est notamment intéressé 
aux conséquences des 35 heures sur l’emploi.
Directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales. Il s’est notamment intéressé aux conséquences des 35 heures sur l’emploi.©DR

Le temps de travail reste-t-il une question majeure pour les salariés et les entreprises ?

La réponse est oui car le temps de travail est un enchevêtrement d’enjeux majeurs. C’est un enjeu de rémunération, car la durée légale (35heures par semaine) est le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et donc de la majoration des salaires. C’est un enjeu d’emploi et de partage du travail. Le temps de travail est aussi lié au coût du travail et à la productivité. Avant la crise sanitaire, on avait déjà constaté des pressions dans des entreprises pour faire croître la durée du travail et revenir sur les 35heures sans forcément augmenter les salaires: il s’agissait pour l’employeur de faire baisser le salaire horaire.

Quels ont été les effets de la crise sanitaire sur le temps de travail ?

Durant la crise sanitaire, avec la chute de l’activité, on a connu une forte baisse de la durée effective du travail sous l’effet de l’activité partielle. Cette baisse était accompagnée d’aides publiques, pour que les entreprises gardent les liens avec les salariés et évitent les licenciements. C’est un mécanisme de régulation de l’emploi intéressant. La pandémie a aussi profondément modifié l’organisation du travail, dans les entreprises qui le pouvaient, avec le développement du télétravail comme on ne l’avait jamais vu auparavant, et, à la clé, selon certaines études effectuées avant la crise sanitaire, une augmentation de la durée du travail. En effet, le temps consacré au transport tend à se transformer en temps travaillé. Le télétravail pose aussi la question de la frontière entre le travail et le non-travail ainsi que la méthode de calcul de la durée. Répondre à ses e-mails professionnels dans les transports, en dehors de ses heures de travail, est-ce du travail ou non ?

Quelles peuvent être les évolutions du débat concernant le temps de travail ?

Le récent rebond de l’activité économique peut conduire à s’interroger sur le temps de travail. Si on n’est plus dans une période de fort chômage, que l’on a atteint une forme de plein-emploi, avec des difficultés de recrutement, alors on sera clairement dans une période pendant laquelle les employeurs chercheront à augmenter le nombre d’heures de travail. Ce qui peut révéler un cercle vicieux, car les emplois seront encore moins attrayants. C’est notamment ce qui se passe à l’hôpital, où les tensions sur les effectifs font que les soignants travaillent plus et qu’il est encore plus difficile de trouver des candidats. La question de la durée du travail devrait donc revenir dans le débat. Par ailleurs, si le gouvernement souhaite allonger la durée de vie active, il faudra maintenir en emploi les seniors –cela questionne aussi l’aménagement du temps de travail des seniors.