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Extrait de l’hebdo n°3886
Au sein des Maisons familiales rurales (MFR) – ces établissements associatifs dédiés à la formation, l’accompagnement et l’insertion professionnelle de jeunes dans des métiers agricoles –, il n’est pas facile d’être syndicaliste. La CFDT, majoritaire à 80 %, compte pourtant y rester une force positive, constructive, pour des salariés au statut et aux conditions de travail spécifiques.

Il est un peu moins de 9 heures ce jeudi 24 août, et le soleil tape déjà fort sur la toile du barnum orange dressé devant l’entrée du Parc Expo de Saint-Étienne. Café et jus et fruits frais côtoient les piles de tracts et les supports d’information que la petite équipe de militants CFDT s’apprête à distribuer aux personnels des Maisons familiales rurales de la région Auvergne-Rhône-Alpes, invités ce jour-là par leur fédération pour une grande journée d’échanges.
1. Ces 75 MFR accompagnent chaque année 18 000 jeunes et adultes selon le principe de l’alternance intégrative : une semaine en cours, une semaine en stage.
Quelque 1 600 personnes, sur les 2 200 salariés que comptent les 75 MFR de la région1, sont attendues. « Nous avions demandé à avoir un stand à l’intérieur du Parc Expo. Mais la direction avait exigé comme condition de valider nos tracts. Ayant refusé, nous nous sommes installés dehors », souligne, un poil agacé, Patrick Sivardière, délégué syndical des MFR de la Drôme et de l’Ardèche et formateur en agriculture biologique à la MFR d’Anneyron (Drôme).
L’enjeu était trop important pour renoncer. « C’est l’occasion d’une grande opération de visibilité, en pleine période de renouvellement des CSE. Nous sommes au taquet pour trouver des candidats et monter des listes ! », indique Patrick, qui avoue courir beaucoup en ce moment afin de signer les protocoles d’accords préélectoraux (PAP) et d’organiser les prochaines élections.

L’organisation très particulière des MFR
La tâche est rude ! Tout d’abord du fait de l’organisation des MFR : ces établissements associatifs dédiés à la formation, l’accompagnement et l’insertion professionnelle des jeunes, principalement dans des métiers liés au domaine agricole, sont de petites structures indépendantes très dispersées sur le territoire, chacune comptant entre 20 et 30 salariés en moyenne. « Jamais plus de 50 ! », précise Patrick, qui avait pourtant tenté de négocier, il y a quelques années, la réunion des 450 MFR de France dans une seule et unique unité économique et sociale (UES). Cela a été refusé par la direction.
Cette configuration en petits établissements limite à la fois l’action syndicale et les droits des salariés. « Nous n’avons pas accès aux activités sociales et culturelles, ni une possibilité de surveillance économique des comptes. Dans chaque établissement, nous pouvons au mieux avoir un ou deux élus sans réels moyens. Et encore, là où nous sommes implantés. Car dans notre département, sur les douze MFR, un tiers n’a pas de CSE faute de candidats pour monter des listes », indique Ghislaine Thomas, formatrice en anglais de la MFR de Chessy (Rhône), qui cumule les mandats d’élue CSE, de secrétaire de syndicat et de déléguée syndicale. À l’échelle nationale, la CFDT estime qu’à peine la moitié des MFR a des représentants syndicaux.
Le fait syndical ne fait pas vraiment partie de la culture MFR. « Le mode de direction est paternaliste. Cela vient de notre histoire. On nous dit : “En famille, y a pas besoin de syndicat.” C’est une forme de confusion : même si nous travaillons en maison familiale, on est au travail ! », souligne Jacques Rodriguez, secrétaire régional de la CFDT-Auvergne-Rhône-Alpes, qui a lui-même longuement exercé en MFR avant de devenir permanent syndical. « Les directions nous disent : “S’il y a un problème, que les salariés viennent nous voir.” Ça n’est pas du dialogue social ! »
Une autre difficulté tient à la « gestion sur le mode associatif, dont on voit clairement les limites », indique Ghislaine Thomas. Sous statut associatif loi 1901, les MFR ont un mode de gouvernance que la CFDT dénonce depuis des années, avec pour principaux griefs un fonctionnement de chaque MFR très dépendant de la personnalité des directeurs ou directrices ; une composition des conseils d’administration sans représentants salariés ; un manque de transparence et de contre-pouvoirs.
Un dialogue social à la peine
Malgré ce contexte, les militants et élus CFDT souhaitent pleinement assumer leur rôle et « construire un dialogue social digne de ce nom. Nous avons toujours tenu notre ligne, qui consiste à montrer que la CFDT est une force positive, de proposition et de constructions de nouveaux droits », précise Fabrice Chevaucherie, récemment élu secrétaire national de la CFDT-Agri-Agro et ancien délégué syndical central du réseau des MFR.
Justement, depuis un an, un grand chantier de renégociation de la grille de classifications est en cours. « Il est temps de dépoussiérer la convention collective ! », souligne Fabrice. La CFDT milite notamment pour revoir ce qu’est devenue la notion de « fonction globale », qui est au cœur du métier de formateur en MFR, et qui se traduit pour les professionnels par le fait d’être à la fois animateurs, formateurs et éducateurs auprès des jeunes. Avec la mission de préparer et d’assurer les cours devant les élèves, les échanges et le lien avec les maîtres de stage, effectuer des visites dans les entreprises ou les exploitations agricoles afin de voir si tout se passe bien, faire le lien avec les familles et, accessoirement, participer à plusieurs veillées par mois puisque les MFR fonctionnent sur le mode de l’internat (qui concerne 95 % des élèves). À ces missions s’ajoute de plus en plus la gestion administrative des périodes d’alternance, des examens, de la formation… Aussi, face à l’inflation de missions auxquelles les personnels doivent répondre, « il faut que l’on puisse reconnaître les compétences liées à toutes ces missions transverses. Pour les formateurs, mais aussi toutes les autres catégories comme le personnel de service », affirme Fabrice.
Des difficultés de tous ordres pour les salariés
Autour du stand CFDT dressé devant le Parc Expo, et malgré la chaleur caniculaire, plusieurs salariés s’attardent, visiblement peu pressés de rejoindre la grand-messe à l’intérieur. Certains n’hésitent pas à confier leurs difficultés. Isabelle, formatrice dans une MFR de la banlieue de Saint-Étienne, vient de signer sa rupture conventionnelle. Heureusement portée par un projet de reconversion (dans le domaine de la formation pour adultes), elle ne cache pourtant pas son amertume face « problèmes de management » qui ont ruiné sa motivation à travailler en MFR. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à évoquer des difficultés liées au management, ainsi qu’à la surcharge de travail ; ou des difficultés économiques dans certaines MFR, qui ont entraîné des suppressions d’emplois, mais aussi deux fermetures d’établissements, en Bretagne, juste avant l’été.

Sur le stand, les militants présents (qu’ils soient du secteur des MFR, représentants de l’interpro ou retraités venus donner un coup de main) prennent le temps d’écouter, de conseiller, d’orienter vers d’autres partenaires ou structures CFDT, prennent les contacts, proposent un rendez-vous téléphonique… Leur ténacité, malgré les 42 °C relevés à Saint-Étienne ce jour-là, a payé : dans les jours qui ont suivi, 80 nouvelles demandes de connexion sur le compte Facebook de la branche CFDT MFR ont été enregistrées.