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Extrait de l'hebdo n°3977
La dénonciation par la direction de l’accord instituant le CSE et des représentants de proximité est mal passée. Les organisations syndicales, CFDT en tête, ont mené une action en justice… mais celle-ci n’a pas produit les résultats escomptés. À la suite de l’arrêt de la cour d’appel de mars 2025, la section CFDT s’est pourvue en cassation.

Jusqu’en 2022, chez Apple Retail France, l’entreprise qui exploite les Apple Stores, tout allait plutôt bien du côté des institutions représentatives du personnel. En plus du CSE et de la CSSCT1, l’accord « relatif à la structure et au fonctionnement du comité social et économique », signé le 1er juillet 2019, avait permis d’instituer deux instances non obligatoires : des CSSCT régionales et des représentants de proximité (RP). Toutefois, à l’usage, « les CSSCT régionales mangeaient un peu le travail des RP. Nous voulions donc revoir leur rôle, prévu par cet accord, car nous trouvions que ça fonctionnait mal », explique Renaud Chateauroux, délégué syndical.
La direction de l’entreprise voulait aussi faire bouger les choses, alors que les élections relatives au renouvellement du CSE devaient se produire en octobre 2022. Elle ouvre donc une négociation en avril 2022… et finit par dénoncer l’accord de 2019 quelques semaines plus tard, le 30 mai 2022. « L’accord de 2019 était à durée indéterminée et dénonçable ; c’est une erreur de notre part que l’on ne refera plus ! », regrette a posteriori Renaud Chateauroux, qui pense que « la dénonciation de l’accord devait être prévue dès le début de la nouvelle négociation, au printemps 2022 ».
Retour au minimum légal
En attendant qu’un nouveau texte soit négocié et validé, le code du travail prévoit que l’accord dénoncé continue de s’appliquer pendant un an au maximum. Le scrutin de 2022 a eu lieu, le nouveau CSE d’Apple Retail France s’est mis en place au début de l’année 2023 et a nommé des représentants de proximité. Coup de théâtre lors de la réunion du 31 août 2023 : la direction d’Apple Retail France annonce que l’accord de 2019 ne produit plus d’effets. Retour, donc, au minimum légal et exit les représentants de proximité, alors que l’accord prévoyait que leurs mandats se termineraient en même temps que ceux des élus du CSE. Quid d’un accord de substitution ? La négociation a capoté quelques semaines plus tôt : le 9 août 2023, la direction a formalisé un procès-verbal de désaccord que les différentes organisations syndicales de l’entreprise ont refusé de signer.
La CFDT, rejointe ensuite par la CFTC, la CGT et l’Unsa, décide alors d’aller en justice et d’assigner Apple Retail France sur deux points. D’abord, la CFDT estime que les mandats des RP et des CSSCT régionales auraient dû se poursuivre même si l’accord de 2019 ne produisait plus d’effets, car le mandat du CSE n’était pas terminé pour autant. Ensuite, la direction a manqué à son obligation de loyauté dans la renégociation de l’accord de 2019. « Nous n’avons eu qu’une seule réunion, et notre courriel demandant un brouillon d’accord à la direction est resté sans réponse… », indique Renaud Chateauroux.
Un manque de loyauté reconnu en appel
La première manche judiciaire s’est jouée en 2024. Dans son jugement rendu le 2 juillet 2024, le tribunal judiciaire de Paris a considéré que « l’existence des représentants de proximité repose exclusivement sur l’accord collectif qui les institue ». Le tribunal ajoute : « Il en résulte donc que, conformément à ce que soutient la société défenderesse, l’expiration du délai de survie de l’accord collectif du 1er juillet 2019 a nécessairement pour conséquence la suppression des représentants de proximité et des membres des commissions santé, sécurité et conditions de travail régionales, dont l’existence repose sur ces accords. » La justice a également considéré que « la preuve de la déloyauté de l’employeur n’est pas rapportée » et a donc débouté les organisations syndicales sur les deux points attaqués.
Si le jugement concernant la disparition des représentants de proximité a été confirmé, la cour d’appel de Paris s’attarde sur le manque de loyauté. La justice a constaté qu’il n’y a eu qu’une seule réunion de négociation et qu’aucun projet de texte n’a été transmis par la direction aux organisations syndicales. « Dans cette mesure », précise la cour d’appel dans son arrêt en date du 20 mars 2025, « ces dernières n’ont pas été en mesure d’exprimer leurs propositions, de motiver leur refus et/ou de formuler des contre-propositions, dont certaines auraient pu être retenues. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la Société a manqué à son obligation de négocier de manière loyale avec les organisations syndicales représentatives un accord de substitution, manquement d’autant plus avéré qu’elle est à l’origine de la dénonciation ».
Nouvelle négociation en vue
Et maintenant ? La section CFDT d’Apple Retail France a décidé d’aller plus loin et s’est pourvue en cassation dans la foulée de l’appel. « Nous avons toujours un doute sur le fait que les mandats de RP peuvent continuer avec ceux du CSE malgré la dénonciation de l’accord. Et puis, si on laisse faire, les entreprises vont pouvoir continuer de négocier des représentants de proximité avec le CSE – et, si ça les gêne, s’en débarrasser en cours de mandat en dénonçant l’accord. Si un RP était dans le viseur de la direction, il n’est plus protégé. C’est trop facile ! », explique Renaud Chateauroux.
L’autre manche, selon la section CFDT, se jouera autour de la table de négociation. De fait, l’entreprise n’a toujours pas de nouvel accord en matière de CSE : « Nous entamons des négociations en ce mois de septembre. Il nous faudra répondre à la demande des salariés et des directeurs de magasin pour plus de proximité, de local, avec idéalement trois représentants de proximité par magasin », affirme le délégué syndical. Et puis, surtout, « nous militerons pour obtenir des mesures de fin de mandat des RP dans l’accord, histoire d’éviter de se faire avoir une nouvelle fois… ».