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Extrait de l'hebdo n°3986
Dans le temple parisien de la culture scientifique, les élus CFDT ont dû sortir les griffes quand la direction a dénoncé unilatéralement les usages en matière de dialogue social en 2023. La Fédération Éducation Formation Recherche publiques (ex-Sgen CFDT) est allée en justice pour défendre les moyens qui lui sont dédiés. Elle a remporté la bataille en juillet dernier.

« Make ze “dialogue social” great again ! », peut-on lire sur les caricatures qui ornent le local de la section CFDT d’Universcience – l’établissement public réunissant depuis 2009 le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie. Car, depuis une dizaine d’années, le dialogue social y est « en panne », estiment les élus CFDT, qui espéraient une amélioration du climat social avec l’arrivée d’une nouvelle équipe de direction.

« Les négociations s’enchaînent à un rythme fou sur les sujets obligatoires (NAO) mais très peu aboutissent à un accord majoritaire signé par les syndicats », relate Nathalie Sitruk, la secrétaire du comité social et économique. La CFDT, majoritaire (36 %) depuis les élections de février 2024, n’a apposé son paraphe en deux ans qu’à deux accords, qui apportent de vrais bénéfices aux agents : l’un sur les salaires 2024 – qui a permis une augmentation de 400 euros du complément de salaire pour atteindre 3 100 euros bruts –, l’autre, un avenant qui proroge l’accord seniors et bonifie l’indemnité légale de départ à la retraite.
Une dégradation du climat social
Pourtant, les problématiques à traiter sont légion, selon la section CFDT – la plus importante de la Fédération Éducation Formation Recherche publiques à Paris. Les délégués syndicaux – Anissa, Hassan, Kadija, Marc Eden et Nathalie – témoignent d’une dégradation des conditions de travail dans l’institution depuis plusieurs années : usure du bâti, multiplication des sous-traitances, cohabitation parmi les 1 065 agents de divers statuts (privé et public) avec des droits différents, vente au secteur privé de la quatrième travée pour ouvrir Boom Boom Villette en 2024. « Et l’État, petit à petit, nous abandonne », regrette Marc Eden Afework, élu au CSE, lequel pointe la mission d’inspection lancée au printemps par les tutelles pour l’évaluation du modèle de la Cité, faisant planer le spectre d’une fermeture.
Peu à peu, les indicateurs sociaux virent au rouge – l’établissement comptant par exemple une augmentation de 10 % du taux d’absentéisme en 2024. « Les agents se mettent en arrêt maladie, partent avant la fin de leur période d’essai, font des burn-out », résume Nathalie Sitruk, qui travaille à la Cité des sciences depuis 1987. Depuis la rentrée, trois grèves du personnel de la sécurité ont engendré la fermeture du site au public, sans compter un préavis de grève des agents affectés à la Cité des bébés et une menace de débrayage des personnels des quais de livraison.

Une bataille juridique engagée dès 2023
Or la direction fait la sourde oreille, selon ces élus ; pire, elle tente, selon eux, de « rogner brutalement les moyens octroyés au dialogue social ». Tout commence en 2023 avec la dénonciation générale de « l’ensemble des usages et engagements unilatéraux concernant les réunions du CSE, les représentants du personnel, les représentants syndicaux et les organisations syndicales » – des dispositifs dérogatoires jugés trop favorables par rapport au cadre légal, déjà revu à la baisse par les ordonnances Macron. Le CSE conteste la validité de cette dénonciation. La direction saisit alors le tribunal judiciaire de Paris en référé ; elle sera déboutée.
Parallèlement, elle engage, au pas de charge, une négociation collective relative au dialogue social qui débouche au bout de dix réunions sur une décision unilatérale, en juillet 2023. Celle-ci fixe un plafond (de 70 heures par an) au-delà duquel le temps passé en réunions du CSE convoquées par l’employeur doit être déduit du crédit d’heures de délégation des élus au CSE. « Cela constituait pour nous une forme d’entrave qui préemptait les débats, c’était intolérable », s’insurge Nathalie Sitruk. Reste que la CFDT n’a pas la main, car le CSE était à l’époque géré par la CFTC, majoritaire pendant l’ancienne mandature. « Le CSE ne voulait pas y aller, nous, on l’a fait », se félicite Nathalie. Une action en justice est lancée au nom du Sgen CFDT mais aussi, c’est peu courant, des membres CFDT (pris individuellement) du CSE.
Première victoire en mars 2024 : le tribunal judiciaire de Paris juge illicite la décision unilatérale de l’employeur. Mais la direction d’Universcience fait appel. En vain, puisque la cour d’appel a validé le jugement dans une décision datant du 10 juillet 2025. Elle confirme que le plafond au-delà duquel le temps passé en réunion est déduit des heures de délégation des membres titulaires du CSE est applicable aux seules réunions des commissions (hors CSSCT1) et pas aux plénières du CSE. De plus, la cour a condamné l’employeur à prendre en charge les frais d’avocat de la CFDT, à hauteur de 4 800 euros – une somme élevée pour ce type de contentieux.
Une nouvelle négociation sur le dialogue social
De quoi susciter l’espoir des élus quant à l’issue des autres contentieux en cours. Après avoir contesté plusieurs fois la régularité de la dénonciation des usages en matière de dialogue social, le CSE a saisi, en juillet 2024, le tribunal judiciaire de Paris. « Nous ne pouvions attaquer la dénonciation des usages en elle-même, alors nous attaquons la façon dont l’employeur l’a réalisée », explique Nathalie. La validité d’une telle dénonciation est en effet subordonnée à l’information préalable des représentants du personnel, laquelle doit avoir lieu en réunion du CSE, et cela après inscription expresse de la dénonciation à l’ordre du jour. Cela n’a pas été le cas. Il a donc été demandé au tribunal judiciaire de juger illicite et donc inopposable la dénonciation, et d’ordonner à Universcience d’appliquer rétroactivement, à compter du 1er juillet 2023 et sous astreinte, les usages et les engagements unilatéraux dénoncés. Le CSE a également sollicité des dommages-intérêts à hauteur de 10 000 euros.
En attendant, les partenaires sociaux d’Universcience sont engagés dans une nouvelle négociation portant sur le dialogue social, qui « devrait, comme d’habitude, avorter », craint la CFDT. « La direction nous propose quelques heures de délégation supplémentaires mais, en contrepartie, nous soumettrait un calendrier pluriannuel pour les négociations sociales au motif que l’on n’est pas capable de négocier tous les ans », s’agace Nathalie. L’expertise annuelle de la politique sociale d’Universcience, qui constate un programme de négociations « très dense », recommande une meilleure priorisation des sujets et la conclusion d’un accord de méthode. Impensable tant que les élus n’ont pas davantage de moyens afin de travailler et de préparer les négociations, estime Nathalie : « N’en déplaise à l’employeur, on n’est pas là pour compter les mouches ! »