Chez Akka, l’obstruction au dialogue social pousse les adhérents à s’engager

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iconeExtrait de l’hebdo n°3869

La CFDT a triomphé aux élections professionnelles de mars 2023. Et le blocage systématique du dialogue social depuis des années n’a pas découragé ses militants, poussant même de nouveaux adhérents à passer à l’action dans les domaines des activités sociales et culturelles, des conditions de travail et des rémunérations !

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 11/04/2023 à 12h37

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© Syndheb

« On craint dégun ! » (ce qui, du côté de Marseille, signifie « on a peur de personne »), explique Stéphane Lépine, le délégué syndical de l’unité économique et sociale (UES) Akka France – un groupe de consulting auprès des industriels formé de sept sociétés comptant 6 000 salariés en France1. Cette expression typiquement provençale va comme un gant à la courageuse équipe CFDT d’Akka, qui, contre vents et marées, vient de remporter les élections de mars 2023 avec 52,9 % des voix, confortant ainsi sa place de première organisation syndicale… Mais à quel prix !

La situation est en effet des plus compliquées au sein de l’entreprise entre organisations syndicales : face à la CFDT, des représentants de FO et de l’Unsa pratiquent une politique d’obstruction acharnée afin de bloquer tout processus électoral, et ainsi empêcher tout renouvellement de mandat. « Je n’ai jamais vu une situation pareille. Nous en sommes à plus d’une vingtaine de recours depuis 2010 », explique Malika El Azzouzi, juriste à la Fédération Communication, Conseil, Culture (F3C). Plusieurs recours sont d’ailleurs actuellement déposés, que ce soit en vue de contester les conditions d’organisation des élections, les résultats ou le périmètre des sociétés concernées par les élections1 !

Une situation ubuesque

Les dernières élections (à l’issue desquelles, à la fin 2016, la CFDT avait totalisé 28 % des voix) ont d’ailleurs été annulées à cause de recours déposés par les deux organisations syndicales citées précédemment. L’entreprise se retrouve donc dans une situation ubuesque puisque les dernières élections validées remontent, selon les sociétés d’Akka, entre 2009 et 2013 ! « Nous étions sans doute la seule entreprise en France à ne pas être passée au CSE, conformément aux ordonnances Macron », souligne Stéphane, éprouvé par ces années de bataille juridique « qui ont nui à l’image du syndicalisme, ruiné le dialogue social et fait du tort aux salariés ». « Dans ce contexte, nous n’avons pas pu mener la moindre négociation. Tout passe par des décisions unilatérales de l’employeur », dénonce Vincent Barrat, récemment désigné délégué syndical du site de Toulouse-Blagnac.

“Ras-le-bol de l’immobilisme”

La bonne nouvelle dans cette histoire, c’est qu’une telle situation de blocage a conduit de nombreux salariés à la CFDT, motivés pour faire bouger les choses. Dans tous les sites, le « ras-le-bol de l’immobilisme » en a poussé plusieurs à s’engager lorsque la possibilité de monter des listes s’est présentée. « Je ne pensais pas reprendre des responsabilités syndicales, ce que j’avais fait dans mes précédentes entreprises. Mais quand je suis arrivé chez Akka, en 2020, j’ai vu qu’il y avait beaucoup à faire », explique Éric Lambert, 57 ans, consultant d’Akka Ingénierie Produit ; il a donc rempilé et est désormais élu au comité social et économique.

Une opération de tractage CFDT sur le site de Guyancourt…
Une opération de tractage CFDT sur le site de Guyancourt…© DR

Anne Bernot, 51 ans, technicienne coordinatrice pour un client de l’automobile, et Mathieu Michel, 42 ans, concepteur d’études électriques, nouveaux élus sur le site de Guyancourt (Yvelines), ont eux aussi sauté le pas. Récents adhérents, ils ont eu à cœur de s’engager pour, en priorité, « redynamiser le CSE ». « Nous sommes 1 300 salariés rattachés à Guyancourt. La plupart des consultants sont souvent en mission, détachés chez le client. Il ne se passe rien de collectif. Les gens sont seuls, en fait », regrette Mathieu. « Il faut recréer du lien, de la cohésion », ajoute Anne, très attachée à relancer les ASC1, avec des idées et de l’enthousiasme à revendre.

Des salariés parfois poussés à la faute

C’est également sur des points durs de l’organisation du travail, notamment sur les conditions de mobilité et d’attribution des missions, que les nouveaux élus veulent agir. « C’est un vrai sujet chez nous », souligne Stéphane Lépine. En cause : la question des inter-contrats, ces périodes pendant lesquelles les consultants « coûtent à l’entreprise mais ne rapportent pas puisqu’on ne les facture pas au client ».

Les méthodes de gestion de ces inter-contrats par les managers sont parfois brutales. « Une partie de leur rémunération dépend des journées facturées », précise Stéphane. Mais quand même. « On a vu toutes sortes de stratégies mises en œuvre pour pousser les consultants à la faute, en leur donnant des ordres de mission ubuesques, presque du jour au lendemain, sur des thèmes de compétences qui ne sont pas les leurs… Tout ça pour qu’ils refusent. Or, les consultants ont dans leur contrat une clause de mobilité. Refuser une mission vaut faute. C’est donc un motif de licenciement », détaille Sébastien Gay, ingénieur d’études en aéronautique à Marignane et militant multicasquette (élu au CSE, défenseur syndical et conseiller prud’homme).

Jusqu’à aujourd’hui, les militants CFDT se sont beaucoup mobilisés pour accompagner les salariés victimes de ces pressions relatives aux inter-contrats. Désormais, ils veulent aller plus loin. « Il faut que les mobilités tiennent davantage compte des salariés, de leurs contraintes. Avec moins d’opacité dans les affectations. Au niveau du CSE, il faut que l’on fasse un point mensuel », estime Éric Lambert.

“Zéro intéressement et zéro participation”

Bien d’autres points figurent dans le cahier des revendications des élus, que ce soit en matière de formation, d’évolution de carrière, de rémunération ou de partage de la valeur. « Pour l’instant, on a zéro intéressement et zéro participation », dénoncent-ils. Ils souhaitent aussi avancer sur la négociation d’un « véritable accord sur le télétravail » et ainsi pallier les insuffisances de la charte qui prévaut actuellement. Des améliorations dans tous ces domaines permettraient certainement de limiter le taux de rotation du personnel, qui oscille entre 20 et 30 %. À moins que l’un des récents recours aboutisse, la nouvelle équipe CFDT pourra mettre en œuvre son programme. Soudée, motivée, elle compte relever le défi – elle craint dégun !