“Chaque suicide révèle la souffrance de nombreux salariés”

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En deuil au travail

Selon cet avocat expert en droit du travail, il faut considérer que le suicide d’un salarié n’est pas, a priori, un drame individuel.

Par Jérôme CitronPublié le 10/12/2025 à 10h05

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© Cyril Badet

Vous accompagnez la CFDT de Technip depuis plusieurs années, notamment pour faire reconnaître la responsabilité de la direction dans une série de suicides qui ont eu lieu entre2015 et2019. Quelle leçon tirer de ce dossier ?

Le suicide d’un salarié est souvent l’arbre qui cache la forêt d’un profond mal-être dans l’entreprise. Lorsque je suis arrivé sur le dossier Technip, juste après le premier suicide, il y avait des dizaines et des dizaines de salariés qui tombaient en burn-out ou étaient sous antidépresseurs. Il y avait une grande souffrance, qui ne laissait que peu de doutes quant au lien entre le suicide du collaborateur et son travail. Malheureusement, d’autres suicides sont ensuite advenus, sans que la direction ne réagisse et malgré les alertes des élus du personnel.

Pourquoi ce déni de la part des directions quand on aborde la question des suicides ?

Admettre que l’on peut être en partie responsable de la mort d’un collaborateur est très difficile. C’est plus confortable de penser qu’il s’agit d’un acte individuel. Et il faut avouer qu’il y a quelque chose de contre-intuitif dans le fait de penser qu’une personne peut mettre fin à ses jours à cause de son travail. Mais les mentalités évoluent. Je le sens bien quand j’aborde ces questions aujourd’hui avec les directions.

Que peuvent faire les élus du personnel ?

Le rôle des élus est de s’assurer que la direction prend toutes les mesures adéquates pour protéger les salariés. Ce n’est pas facile, surtout après un drame, mais le code du travail leur donne des droits. Ils ont notamment la possibilité de voter une expertise. Je leur conseille d’y recourir systématiquement car l’employeur a, lui, tendance à vouloir embarquer les élus du personnel dans des groupes de travail internes où il garde la main et où rien de concret ne se passe, la plupart du temps.