Carsat, en première ligne

iconeExtrait du magazine n°495

Chargés de calculer et verser les pensions en Bretagne, les salariés de la Carsat de Rennes n’ont que quelques semaines pour se préparer à la réforme des retraites prenant effet au 1er septembre. Un surcroît d’activité qui accentue les difficultés de ces professionnels déjà en sous-effectif.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 30/06/2023 à 09h35

Franck Bourien, 
François Belloir et Véronique Borie, L’équipe des militants CFDT de la Carsat de Rennes
Franck Bourien, François Belloir et Véronique Borie, L’équipe des militants CFDT de la Carsat de Rennes© Julien Mignot

Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, Renaud Villard, l’a assuré fin mai : en ce qui concerne la réforme des retraites, « il n’y aura pas de retard à l’allumage ou de retard au versement ». À la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat, lire l’ncadré ci-dessous) de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui gère les retraites du régime général sur le territoire breton, les salariés sont beaucoup moins confiants. Dans le local syndical CFDT, François Belloir, Véronique Borie et Franck Bourien le disent clairement : « Nous sommes déjà dans une situation compliquée et nous allons encaisser de nouvelles difficultés. Quand Renaud Villard dit que tout sera prêt au 1er septembre, c’est un écran de fumée. »

Véronique Borie, François Belloir et Franck Bourien. Déjà en sous effectif, les militants CFDT de la Carsat de Rennes s'inquiètent de la charge de travail supplémentaire consécutive à la mise en application de la réforme des retraites.
Véronique Borie, François Belloir et Franck Bourien. Déjà en sous effectif, les militants CFDT de la Carsat de Rennes s'inquiètent de la charge de travail supplémentaire consécutive à la mise en application de la réforme des retraites.© Julien Mignot

Des outils dysfonctionnels

La Carsat de Bretagne, à l’instar des autres caisses régionales, a subi de nombreuses transformations ces dernières années qui n’ont pas encore été totalement digérées par les équipes. « En 2021, de nouveaux outils ont été mis en place pour améliorer le traitement des demandes et la fiabilisation des carrières des assurés, avec notamment un répertoire unique commun à tous les régimes. Or, deux ans plus tard, ces outils ne sont toujours pas fiables », explique François Belloir, rédacteur juridique et délégué syndical CFDT. Ce qui donne une situation incongrue : « Les techniciens peuvent, un à deux jours par semaine, utiliser les anciens logiciels, plus fiables », ajoute-t-il. Résultat : 30 % des dossiers ne sont pas dans les clous. Pour éviter que les assurés se retrouvent sans ressources au moment du départ en retraite,
une pension provisoire leur est versée, le temps que le dossier soit révisé…

« Le risque d’erreur augmente, et le travail fractionné favorise les risques psychosociaux », souligne Franck Bourien, contrôleur de sécurité et secrétaire du CSE. Et une perte de temps : « Nous avons un stock de dossiers de régulation de carrière à traiter qui est passé de 5 000 à 15 000. Nous n’arrivons pas à le faire baisser. »

La multiplication des canaux de communication et la dématérialisation provoquent aussi une hausse de la charge de travail. « Le multicanal (internet, accueil physique, téléphone, e-mails…) donne l’illusion aux assurés qu’ils vont être servis vite. Quand ils n’arrivent pas à joindre quelqu’un sur un canal, ils en tentent un autre et, de notre côté, ça donne deux sollicitations à gérer pour un seul assuré », détaille Franck. L’objectif pour les caisses, c’est que les assurés puissent faire leurs démarches seuls sur internet. « Mais, bien souvent, il y a des erreurs dans le remplissage ou des justificatifs qui manquent, donc ça nous redonne de l’activité, affirme François. Et avec la dématérialisation, on part du principe que les assurés ont accès à internet et savent utiliser les outils informatiques. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde ! »

Tout cela crée de la frustration et provoque une montée de l’agressivité des assurés. Véronique Borie, trésorière du CSE, mais surtout technicienne « relation de service » sur la plateforme téléphonique, y est régulièrement confrontée : « Les agressions verbales et les incivilités se sont multipliées depuis 2021. Nous ne laissons pas passer et ça peut aller jusqu’au dépôt de plainte. Elle ajoute : Les gens sont plus exigeants, et il y a énormément de défiance. »

« Le système n’est pas prêt »

Durant le printemps, souligne Véronique, la plateforme téléphonique a connu une augmentation des appels, en lien avec la réforme : « Dès que la loi est votée, les personnes pensent qu’elle s’applique directement. Mais non. Et, à ce jour, nous avons reçu deux décrets d’application sur les trente et un qui doivent paraître. Ensuite il faudra les transcrire en procédure interne, se les approprier. Nous sommes frustrés de ne pas pouvoir apporter une réponse claire aux assurés. Certains comprennent, d’autres… Et puis les dossiers d’assurés qui vont être touchés par la réforme arrivent. » Des dossiers mis en attente.

De son côté, la direction a reconnu que les contacts avec les assurés étaient un peu compliqués ces derniers temps. Elle a détaillé lors d’un CSE ce qui sera mis en place pour accompagner les équipes : des scripts d’information pour les salariés des plateformes et des accueils physiques, des « webinaires retraites », l’embauche de CDD et de douze personnes en CDI.

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

Pas de quoi contenter les militants CFDT, qui réclament plus d’embauches. D’autant plus que les effectifs ont fondu ces dernières années. « Ces douze personnes en CDI ne seront pas des créations nettes d’emplois », précise François, le délégué syndical, qui souhaite, lui, la création de quarante postes. « Nous sommes en sous-effectif alors que la masse de travail ne baisse pas et que la réforme s’annonce. Des CDD vont être recrutés, mais leur contrat ne dure que cinq mois et demi. Ils partent donc au moment où ils deviennent efficients », regrette-t-il. Et Franck de conclure : « Le système n’est pas prêt et les moyens ne sont pas là. Une réforme, ça ne peut pas s’encaisser comme ça ! »

Qu’est-ce qu’une carsat ?

Les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (au nombre de quinze, en France métropolitaine), dites Carsat, ont trois missions : préparer et mettre en paiement les pensions de retraite du régime général (les retraites personnelles et les pensions de réversion) ; prévenir les accidents du travail en contrôlant les entreprises et en calculant leurs cotisations ; enfin, assurer un service social en faveur des assurés les plus fragilisés. Pour la partie retraite, les Carsat forment le réseau de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), qui a distribué en 2021 135 milliards d’euros de prestations à 14,9 millions de retraités. Pour sa part, la Carsat Bretagne (855 salariés) verse des pensions à environ 700 000 retraités ; ce qui représente 6,2 milliards d’euros de prestations en 2021.