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Extrait de l'hebdo n°3965
Au terme d’un long processus, l’équipe CFDT du Centre national d’études spatiales a obtenu la signature d’un accord-cadre sur la transition écologique. Ce texte, en déclinant l’ensemble des sujets identifiés comme essentiels, sert de base solide à la négociation d’accords thématiques. Explications.

Le sujet de la transition écologique s’inscrit dans le temps long. Il demande aussi de la patience et de la ténacité. C’est ce dont peuvent témoigner les membres de l’équipe CFDT du Centre national d’études spatiales (Cnes). À la fois agence de programme, centre technique et opérateur spatial, le Cnes emploie plus de 2 300 salariés répartis sur quatre sites. Il aura fallu deux ans à ces ingénieurs de haut niveau pour aboutir, début février, à la signature d’un accord-cadre portant sur « la transition écologique et l’accompagnement au Cnes ».
Pour comprendre l’ampleur du travail accompli, il faut remonter à la fin de l’année 2022. Les conséquences énergétiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie conduisent alors de nombreuses entreprises à définir un plan de sobriété. Le Cnes n’y échappe pas. « Le projet de plan de sobriété, tel qu’il nous a été présenté à l’époque, contenait de nombreuses mesures intéressantes. Mais la direction avait oublié une chose, c’est que beaucoup de ces points devaient faire l’objet d’un dialogue social et devaient donc être soumis à négociation ! », souligne Julien Anxionnat, délégué syndical central CFDT et ingénieur spécialisé en algorithmes d’optimisation, basé à Toulouse. « Surtout, nous souhaitions porter le sujet de la transition écologique de manière plus large, dépasser le seul cadre du plan conjoncturel qui répond à une crise énergétique », ajoute Thibaut Bouilly, délégué syndical central adjoint et ingénieur structures et matériaux. Ce que la direction a accepté.
Dynamique collective
Au sein de l’entreprise, le contexte est favorable à la négociation et le moment semble « mûr » pour embarquer les salariés : « À cette époque qui a suivi le Covid, on parlait beaucoup du “monde d’après”. Un certain nombre de collectifs de salariés s’étaient d’ailleurs organisés dans l’entreprise pour réfléchir aux questions de transformation et de transition écologique », rappelle Marie Jacquesson, élue au CSE du site de Daumesnil et secrétaire du CSE central, par ailleurs cheffe du service structures, thermique et matériaux, à la direction des lanceurs du Cnes. L’équipe CFDT se rapproche de ces collectifs, travaille avec eux. « Nous nous sommes appuyés sur cette dynamique existante », résume Julien.
Les feux étant au vert, la négociation s’engage. Mais pas n’importe comment. « Appréhender ce genre de négociation, par essence inhabituelle puisque différente de celles balisées par les accords d’entreprise bien détourés, a d’abord exigé un questionnement sur la méthodologie », indique Julien. Pour « poser des bases communes », les différentes parties prenantes (représentants de la direction et représentants des quatre organisations syndicales présentes dans l’entreprise) se réunissent en séminaire, pendant deux jours, en juin 2023. Atelier de « Fresque du climat », brainstorming, mais aussi accompagnement par un cabinet spécialisé… Les participants veulent partir d’une base solide.
Dans les mois qui suivent, l’équipe CFDT poursuit la réflexion, en associant les adhérents, avec des débats en section. Ce qui aboutira à la production d’un cahier revendicatif très complet. La feuille de route est claire, structurée en six axes : stratégie et politique industrielle ; mobilités ; immobilier, environnement et qualité de vie au travail ; organisation du travail ; accompagnement personnel ; et un volet action des CSE et CCSE. Mais les séances de négociations menées en parallèle avec la direction patinent et s’éternisent. L’attitude des autres organisations syndicales complique les débats. Sur des sujets comme les mobilités et la politique voyages, on chicane, on pinaille.
Des engagements de tous les acteurs
Enfin, le 5 février 2025, un point final est mis à la rédaction de l’accord, avec la signature de l’ensemble des représentants syndicaux. Sur la portée du texte, qui reste un accord-cadre, l’équipe est unanime : « On pourrait penser que sans mesure concrète, cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Mais en fait si : nous avons gagné des engagements de tous les acteurs sur les ambitions, les enjeux, les modalités et le calendrier », souligne Julien. « C’est une base solide, structurante, pour les prochains accords », ajoute Thibaut. L’accord-cadre fixe en effet un programme de négociations sur six sujets dont : l’adaptation et l’amélioration de l’environnement de travail ; l’organisation du travail et le temps de travail au bénéfice de la sobriété ; les mobilités (autant les déplacements professionnels que les déplacements domicile-travail) ou l’appui à l’engagement de l’ensemble des collaborateurs. Les acteurs se sont d’ores et déjà entendus sur tous les points à négocier, comme les indicateurs qu’il faudrait voir figurer dans la BDESE1.
Non-sens écologique
Parce qu’en tant qu’agence le Cnes a pour mission de mettre en œuvre la politique spatiale nationale et de faire des propositions à l’État, l’équipe CFDT voudrait désormais porter plus loin la réflexion sur la stratégie et la politique industrielle de la filière spatiale française, et pourquoi pas… la conduire vers davantage d’éthique et de sobriété. Sur ce point, les enjeux sont colossaux.
Aujourd’hui, beaucoup de startups subventionnées ou stimulées par la puissance publique agitent le développement du secteur et concentrent l’attention actuelle du gouvernement, « dans le but hypothétique de l’émergence d’un acteur industriel compétitif », précise Marie. « On assiste à un ballet de projets, parfois mégalomanes, parfois totalement fantaisistes, à l’impact écologique démesuré, sans aucun bénéfice sociétal en retour, assène Julien. C’est un non-sens écologique. » D’où le souhait de la CFDT de voir le Cnes peser davantage dans les directions prises, notamment en renforçant le rôle de son Comité d’éthique, créé en 2022. « Mais dont on ne voit pas encore suffisamment l’impact », regrette Thibaut.
La CFDT revendique également l’organisation d’une Convention des salariés du spatial pour le climat, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, qui associerait quelque 150 salariés des acteurs de l’écosystème spatial. Avec le souhait, en arrière-plan, de participer à l’élaboration des recommandations « pour que le spatial réponde aux justes besoins, et dans le respect des limites planétaires ».