Abandon de poste : la présomption de démission devient la règle

temps de lectureTemps de lecture 5 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3871

Depuis le 18 avril, les salariés qui abandonnent leur poste sont considérés comme démissionnaires, et privés de droit au chômage. Un changement majeur pour les salariés comme pour les employeurs.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 25/04/2023 à 12h00

image
© Stéphane Audras/RÉA

Initialement prévu pour mars, le décret d’application relatif à la présomption de démission était resté sous cloche, le ministère du Travail estimant sans doute le moment malvenu. Peu de temps après la promulgation de la réforme des retraites, la mesure créée par la loi Marché du travail mettant en œuvre la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire est désormais applicable. De quoi s’agit-il ? Officiellement, on parle d’abandon de poste lorsqu’un salarié quitte volontairement et sans justification son poste de travail.

Jusqu’alors, les abandons de poste débouchaient le plus souvent sur un licenciement pour faute grave, donnant droit à l’ouverture de l’allocation chômage. Une situation que la majorité, à l’instar de certains députés, a voulu modifier – au motif de lutter contre les abandons de poste qui, selon eux, se multiplient depuis la pandémie. Or, de fait, la mesure introduite par les députés LR à l’Assemblée nationale « ne se base sur aucune étude ou chiffrage », rappelle la CFDT.

Quinze jours après la mise en demeure de l’employeur

Désormais, un salarié qui abandonne son poste disposera d’un délai de quinze jours pour justifier son absence et reprendre son poste, à compter de la mise en demeure de l’employeur, précise le décret. Passé ce délai, il sera présumé démissionnaire. Or les démissions n’ouvrant pas droit à l’assurance chômage, ces nouveaux présumés démissionnaires se verront privés d’allocation.

À ce stade, il est utile de rappeler que sont considérés comme motifs légitimes de nature à faire obstacle à une présomption de démission les raisons médicales, l’exercice du droit de grève ou droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.

Au-delà de l’incohérence juridique que constitue cette nouvelle disposition (la Cour de cassation estimant que la démission ne peut se présumer), instaurer un tel mécanisme revient à ignorer la réalité du marché du travail du point de vue de l’employeur comme de l’employé. En effet, l’abandon de poste est souvent un levier pour le salarié mais aussi pour l’employeur qui ne souhaite pas en passer par une rupture conventionnelle. Dans bien des cas, l’abandon de poste était souvent le dernier recours des salariés en souffrance. C’était également pour l’employeur une mesure qui permettait de se séparer de son salarié et d’y trouver financièrement son compte, en s’exonérant d’une indemnité de licenciement ou d’une rupture conventionnelle jugée coûteuse. L’Unédic le confirme d’ailleurs dans une note publiée fin mars, évoquant un terrain d’entente implicite autour de l’abandon de poste : « Quatre répondants sur cinq avaient demandé une rupture conventionnelle préalablement à leur abandon de poste et avaient essuyé un refus de la part de l’employeur. »

Une disposition offrant des recettes substantielles

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Si la volonté d’appliquer la présomption de démission ne semble partagée par aucun des camps (patronal comme syndical), on devine l’intérêt de l’exécutif pour une telle mesure. « La présomption de démission répond à un objectif clair : priver les salariés abandonnant leur poste du droit à l’assurance chômage. Avec, à la clé, des économies substantielles pour l’Unédic », alerte la CFDT. Dans cette même note, l’organisme paritaire estime qu’en 2022 environ 75 000 ouvertures de droits se sont produites à la suite d’un abandon de poste – la nouvelle disposition permettant d’engranger entre 530 et 800 millions d’euros de recettes supplémentaires. Et le gouvernement de justifier son obsessionnel discours à propos de la baisse du chômage. Alors, baisse du nombre de demandeurs d’emploi, non ; mais baisse du nombre de chômeurs indemnisés, sans doute !