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Extrait de l’hebdo n°3821
Entre le report du vote, la difficulté à faire une campagne de proximité auprès de salariés encore largement en télétravail et le relatif désintérêt de ces derniers pour un scrutin jugé lointain, nombre d’obstacles se dressaient devant les militants engagés dans les élections professionnelles. Leur implication a pourtant permis de renforcer la CFDT, essentiellement dans le réseau régional et outre-mer.

« La CFDT est la seule organisation syndicale à progresser en représentativité. Nous avons également renforcé notre présence dans les instances. » Yvonne Roehrig, déléguée syndicale centrale (DSC) de France Télévisions, ne cache ni son soulagement ni sa satisfaction. Avec un total de 21,78 % en 2022 (contre 20,2 % en 2018), la CFDT consolide donc son implantation, conforte sa deuxième place au sein du réseau régional (antennes en région) et réduit l’écart avec la CGT, lequel passe de 16 à 10,5 points.
Pourtant, les vents n’étaient guère favorables lors de cette campagne électorale, contrainte par la crise Covid : avec de nombreux salariés en télétravail, notamment au siège, il se révélait difficile de faire de la proximité. « Il n’y avait pas grand monde à la cantine quand on allait tracter », se souvient Christophe Pauly, secrétaire national chargé du pôle média. Sur le site de Malakoff, dont le scrutin s’est tenu à la fin de l’année 2021, la campagne s’est faite entièrement par téléphone. S’ajoutent à cela le désintérêt des salariés pour une élection dont les enjeux semblent abstraits (le quorum n’a pas été atteint au premier tour concernant l’élection au siège du groupe) et la rude concurrence entre les organisations syndicales au sein des trois grands pôles de France Télévisions que sont le siège (4 100 salariés), le réseau régional (3 600 salariés) et le pôle outre-mer, les services support basé à Malakoff (100 salariés).
Dans ce contexte, la CFDT a plutôt bien tiré son épingle du jeu. « Nous avons même été très courtisés au moment de l’installation des comités sociaux et économiques du siège et du réseau régional, et nous avons obtenu plusieurs commissions importantes comme la commission santé, sécurité et conditions de travail, la commission emploi et la commission des activités sociales et culturelles », précise Yvonne, élue au CSE réseau le 14 avril. Et au site de Malakoff, la CFDT a fait un tel score qu’il lui permet de reprendre le CSE. « On est fiers de Malakoff ! »
Nouveau départ
Pour cette journaliste militante basée à Strasbourg, ces résultats sont d’autant plus satisfaisants qu’elle mesure tout le chemin parcouru depuis le clash de 2017, qui s’est traduit par l’explosion de la section, le départ des principaux acteurs qui ont créé une section Unsa et la disparition de la CFDT des écrans radars au siège. Depuis, Yvonne œuvre avec ténacité à la reconstruction de la CFDT au sein de la maison France Télévisions. « On a remis la CFDT sur les rails. On a entamé une nouvelle histoire avec des nouvelles personnes. »
Syndicalement, la section est repartie sur des bases rénovées, avec de nouvelles méthodes. Elle est revenue dans le jeu des négociations après des décennies d’opposition systématique de l’ancienne équipe. Revenue aussi vers les salariés, à leur écoute, en remettant à plat la stratégie de communication : refonte du site web, newsletters régulières… Mais aussi enquêtes afin de connaître la situation des salariés, leurs besoins, et ainsi obtenir des éléments pour mieux négocier. Un questionnaire passé pendant un confinement, en mai 2020, a de ce point de vue servi à engager la négociation de l’accord télétravail, signé quelques mois plus tard. « Au retour des vacances de printemps, début mai, nous lancerons une enquête visant à connaître les attentes des salariés pour la prochaine mandature : qu’attendent-ils des syndicats, de notre action… ? », explique Yvonne. Et un autre questionnaire sera également adressé avant l’été dans la perspective de la renégociation de l’accord mobilité et de la prime vélo.
L’action à France Télévisions n’est pas aisée à mener. Plusieurs observateurs pointent « le climat morose », « l’ambiance atone ». « Depuis une vingtaine d’années, on constate un défaut d’appropriation de l’entreprise par ses salariés. La fusion France 2-France 3, opérée en 2009, n’a jamais vraiment pris », indique Christophe Pauly, grand connaisseur du dossier. Une entreprise « cloisonnée », verrouillée par des « baronnies » et autres hiérarchies, tant professionnelles que géographiques (le siège parisien étant considéré comme le plus haut sommet, celui des « cadors »), résume un connaisseur du dossier qui a aidé à remonter la section CFDT.
La maison France Télévisions fragilisée par des plans d’économies successifs
Pour ne rien arranger, un climat d’incertitude permanent concernant les missions de service public tout comme l’avenir financier du paquebot France Télévisions pèse lourd. « Nous vivons des plans d’économies successifs depuis des années, avec notamment une rupture conventionnelle collective qui court jusqu’à la fin 2022. Et personne ne peut nous dire par quoi la redevance va être remplacée. Nous avons été auditionnés par toutes les commissions parlementaires possibles depuis un an, mais aucune piste ne se dégage », note Yvonne, qui craint de nouvelles injonctions à faire des économies. « Nous serons sans doute contraints de renégocier l’accord collectif. »
L’équipe CFDT pointe également ses propres difficultés à fonctionner, à la suite de la réforme imposée par les ordonnances Macron. Caroline Labasque, DSC au siège et secrétaire adjointe de son CSE, ne décolère pas : « Ces ordonnances nous pourrissent la vie ! » – réduction des instances (un unique CSE pour les 23 antennes régionales, autant dire un périmètre extra-large que doivent couvrir les 25 élus titulaires), des missions des élus qui se sont élargies et complexifiées… et qui les fatiguent, voire les épuisent. Dans les discours des militants de France Télévisions, on retrouve toutes les récriminations contre ces nouvelles instances de CSE, dont Syndicalisme Hebdo s’est souvent fait l’écho.
Cependant, l’équipe CFDT ne lâche rien et tient à son programme de campagne : « retrouver le sens du collectif », explique Caroline, qui en a fait son cheval de bataille. « Chez nous, il n’y a pas un métier supérieur à un autre, il faut vraiment travailler à préserver nos collectifs de travail. » D’ailleurs, la section a fait son possible pour que tous les métiers soient représentés sur les listes CFDT : techniciens (preneurs de son, monteurs…), journalistes, JRI (journalistes reporters d’images), chefs d’édition mais aussi administrateurs réseaux, magasiniers… « Il faut que les gens retrouvent le plaisir de travailler à France Télévisions ! », conclut Yvonne. Un magnifique programme… bientôt « vu à la télé » ?