Lydie Nicol, secrétaire nationale CFDT, décrypte les enjeux du projet de loi sur l’immigration, qui comprend un volet travail et un volet plus coercitif.

Le gouvernement présente début février son projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » en Conseil des ministres. Quel regard porte la CFDT sur ce texte ?
Dans le contexte actuel, on pourrait penser qu’un projet de loi portant sur l’immigration n’est pas au cœur de notre action syndicale et que nous n’avons pas vocation à le commenter. Pourtant, il touche à notre cœur de métier, le travail, et il touche aux travailleurs. En tant que première organisation syndicale, nous avons un devoir de vigilance vis-à-vis de ces travailleurs – sans papiers, certes, mais pas sans droits.
“La logique utilitariste qui sous-tend ce projet de loi, où l’on réforme les politiques migratoires en fonction des besoins de notre économie […], ce n’est pas notre vision.”
Justement, une des propositions du volet travail de ce projet de loi consiste à créer un titre de séjour « métiers en tension » d’un an pour les travailleurs sans papiers. Est-ce la bonne réponse ?
C’est en tout cas l’opportunité d’ouvrir une voie d’accès au séjour par le travail pour quelques milliers d’étrangers déjà présents sur le territoire. En effet, s’ils exercent un métier en tension depuis au moins huit mois, ces derniers pourront faire eux-mêmes la demande de rester sur le territoire, sans passer par l’employeur ni subir l’arbitraire de certains préfets, quand leur régularisation impose actuellement une promesse d’embauche en CDI. C’est une véritable avancée, qui pourrait bénéficier à 70 000 travailleurs selon les estimations du ministère, contre 7 500 aujourd’hui.
Nous sommes en revanche beaucoup plus réservés sur les objectifs du gouvernement, qui voit dans la création de ce nouveau titre une réponse aux difficultés de recrutement actuelles. Selon nous, l’octroi d’un titre de séjour pour ces travailleurs sans papiers doit reposer uniquement sur des critères liés à leur parcours, sans lien avec les besoins de main-d’œuvre. La logique utilitariste qui sous-tend ce projet de loi, où l’on réforme les politiques migratoires en fonction des besoins de notre économie et pas dans une logique d’intégration durable, ce n’est pas notre vision.
Que prône la CFDT en direction de ces travailleurs ?
La meilleure réponse pour reconnaître enfin ces travailleurs serait de procéder à une régularisation massive de tous ceux déjà en emploi, qui paient des cotisations et leurs impôts comme tout le monde. La réalité, c’est qu’aujourd’hui des secteurs entiers de notre économie (restauration, bâtiment, sécurité, propreté…) reposent sur ces invisibles et se retrouveraient à l’arrêt sans eux.
Les employeurs sont pourtant incités à participer activement à l’intégration de ces travailleurs ?
C’est vrai, le projet de loi met à la charge de l’employeur une obligation de formation à la langue française, ce qui est une avancée… À condition, toutefois, de veiller à son opérationnalité, y compris dans les plus petites entreprises ! D’autant qu’en parallèle, le même projet de loi veut conditionner l’accès des titres de séjour pluriannuel à l’obtention d’une certification de la langue française, ce qui durcit les règles actuelles. C’est encore et toujours la politique du « en même temps » dont ces travailleurs pourraient faire les frais.
Le débat parlementaire est prévu au printemps. Y a-t-il un risque de récupération politique ?
Ne soyons pas naïfs : le contexte actuel n’est absolument pas propice, la séquence politique risque d’être très compliquée sur ce projet, qui suivra la réforme des retraites et sur lequel le gouvernement a déjà sans doute donné des gages à une partie de la droite en contrepartie de son soutien. Le risque de polarisation du débat sur la manière de limiter l’immigration dans notre pays est donc réel. Alors que ce dont nous aurions besoin, c’est d’un grand débat de société, avec la participation citoyenne la plus large [la CFDT avait proposé des états généraux sur l’immigration] pour construire une politique migratoire ambitieuse alliant accueil digne inconditionnel et intégration durable. Dans un pays comme le nôtre, le respect de la dignité des personnes n’est pas un vain mot ni une option. La CFDT veillera à ce que personne ne soit tenté de l’oublier.