Souveraineté et industrie : les acteurs de la filière batterie s’interrogent

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icone Extrait de l'hebdo n°3965

Le plan d’extraction de lithium par Imerys, dans son site de l’Allier, représente une opportunité économique certaine pour le territoire. Il alimente encore toutefois bien des inquiétudes. Alors que le projet entre dans une phase décisive, les acteurs de la filière sont venus questionner la direction du groupe minier.

Par Anne-Sophie BallePublié le 13/05/2025 à 12h00

Le site de la mine de Beauvoir, propriété d'Imerys. La multinationale y exploite du kaolin pour céramiques depuis 2005. La présence de lithium a été détectée dans le sous-sol de la mine actuelle.
Le site de la mine de Beauvoir, propriété d'Imerys. La multinationale y exploite du kaolin pour céramiques depuis 2005. La présence de lithium a été détectée dans le sous-sol de la mine actuelle.© Syndheb

Décarboner la voiture avec du lithium made in France et en créant des emplois locaux : sur le papier, le projet « Emili », c’est son petit nom, a tout pour séduire. Porté par la société française Imerys (multinationale spécialisée dans l’extraction des minéraux pour l’industrie), il s’agit du premier programme minier de l’Hexagone depuis cinquante ans. Alors que la France et l’Europe sont dépendantes à 100 % des importations de lithium1 – dont environ 60 % en provenance de Chine – le gisement souterrain découvert à Beauvoir, près d’Échassières (Allier) et que souhaite exploiter Imerys, permettrait de fournir une source durable et compétitive d’or blanc pour les constructeurs automobiles. « À terme, notre objectif est de produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium [soit 15 % de la demande de lithium européenne], ce qui permettrait d’équiper 700 000 véhicules électriques par an », insiste Aurore Hanot, DRH d’Imerys, face aux responsables CFDT de la filière venus questionner l’avancement du projet, qui pourrait voir ses usines sortir de terre dès 2028. « Avoir des mines sur son territoire, c’est garantir sa souveraineté énergétique, technologique et stratégique », concède Stéphane Maciag, de la CFDT Mines Métallurgie. Il n’en reste pas moins que, dans la période, la filière batterie n’est pas au mieux de sa forme. Plus largement, est-ce qu’il ne manque pas quelques étapes pour lui permettre de fonctionner de bout en bout, de l’extraction à la vente aux gigafactories des Hauts-de-France ? », s’interroge-t-il.

Comment répondre aux besoins d’emplois nouveaux ?

Côté emploi, là aussi, les questions sont nombreuses. Imerys assure que le projet possède des avantages économiques certains, avec notamment la création de 570 emplois directs et de 1 000 emplois indirects sur les trois sites de l’Allier2 « Pour faire fonctionner ces trois sites, il va nous falloir des ingénieurs, des opérateurs, des techniciens. Mais aussi tout un tas de métiers que les gens ne connaissent pas », note la direction d’Imerys. Raison pour laquelle il va falloir anticiper les besoins d’activité, en associant à la réflexion France Travail, les agences d’intérim et les CFA locaux pour construire des plans de formation adaptés aux besoins… Là encore, la CFDT n’est pas en reste. Et le dialogue social pourrait bien être utile. « Nous pouvons être des facilitateurs dans le cadre des commissions où l’on siège pour construire les CQPM3», plaide un des participants.

« On a tous un imaginaire de la mine »

À Beauvoir, les candidatures spontanées commencent déjà à arriver, assure la responsable des ressources humaines du site. Il faut dire que la zone industrielle de l’Allier est en plein déclin, ce qui peut, paradoxalement, renforcer l’acceptabilité du projet de la part des locaux, assure Marc Meissonnier, de la CFDT Pays d’Auvergne. « On a tous un imaginaire de la mine. Le site le plus dangereux, en matière environnementale, est sans doute le site de conversion de Montluçon. Est-ce qu’on ne sous-estime pas les inquiétudes des riverains au sujet de ce site, et qui, pour l’instant, n’y voient que l’opportunité d’emplois ? »

Quant à l’impact environnemental d’un tel projet, sans doute est-il celui qui fait le plus débat. Fabien Guimbretière, secrétaire national en charge de la transition écologique et de l’industrie, l’assure : accueillir des mines en Europe est autant une question de responsabilité que d’exemplarité écologique. « Rares sont les personnes à vouloir qu’une activité industrielle s’implante près de chez elles. Le vrai défi, c’est de la rendre acceptable socialement et responsable écologiquement. C’est le propre de la transition écologique juste que nous portons à la CFDT. En cela, le dialogue social territorial est essentiel, car il permet de dépasser le seul cadre de l’entreprise. »

Les acteurs de la filière batterie présents, le 25 avril, à Échassières.
Les acteurs de la filière batterie présents, le 25 avril, à Échassières.© Syndheb

Des propositions du « cahier d’acteurs » intégrées au projet

Parce qu’il soulève encore nombre d’inquiétudes, le projet « Emili » a fait l’objet d’un vaste débat public en 2024, marqué par une forte participation citoyenne (3 600 participants), associative et syndicale. La CFDT a ainsi organisé, avec l’ensemble des structures impliquées dans ce projet (FGMM, FCE, FNCB mais aussi l’union régionale interprofessionnelle Auvergne-Rhône-Alpes, syndicats…) un travail concerté pour établir un cahier revendicatif et le livrer au débat.

Plusieurs propositions de ce « cahier d’acteurs » ont été intégrées par la direction d’Imerys, qui s’engage à les porter. La première consiste à favoriser le recrutement local autant que possible et en fonction des compétences disponibles sur le territoire, ainsi qu’à cibler en priorité les salariés des entreprises concernées par des plans sociaux, nombreux dans la région. « Une bonne nouvelle », se réjouit Isabelle Miotto, du syndicat CFDT Métallurgie Auvergne.

La seconde proposition reprise par Imerys relève du dialogue social. Elle vise à créer un comité de suivi pour chaque site et à favoriser l’information des parties prenantes tout au long de la mise en œuvre du projet. « Un comité auquel les élus, les riverains et les partenaires sociaux seront bien entendu associés, assure la direction d’Imerys, via un collège dédié aux IRP [instances représentatives du personnel] et aux organisations patronales. » Le premier comité de suivi devrait d’ailleurs se dérouler le 21 mai. La CFDT est prête.