Trente ans après le génocide, le Rwanda fait figure de modèle. Le pays est parvenu à se relever jusqu’à devenir un des plus dynamiques du continent africain. Mais derrière cette apparente success story se cache une réalité moins glorieuse, entre autres en matière d’inégalités sociales.
1. Quatre milliards de dollars ont été engagés par la Banque mondiale depuis le génocide de 1994, ce qui représente près de la moitié du budget de l’État.
Sur les cendres d’un génocide au cours duquel 800 000 Tutsis ont été tués au printemps 1994, le Rwanda, petit pays enclavé au centre de l’Afrique, renaît bon gré mal gré.
Le « miracle rwandais », comme le répète à l’envi son omniprésident, Paul Kagame, s’illustre par un taux de croissance de 8 % par an depuis 1995 et des réformes structurelles – dans les domaines de l’éducation, la santé ou encore l’agriculture – largement soutenues par les institutions financières internationales1. Un succès, donc, mais un succès en trompe-l’œil, nuancent aujourd’hui nombre d’économistes.
« Il y a un accomplissement économique indéniable dans ce pays dévasté par le génocide mais aussi un côté moins visible, avec une répartition inégalitaire de la croissance, dont toute une partie de la population a été exclue », résume An Ansoms, professeure de sciences sociales de l’Université catholique de Louvain (Belgique). Il existe également une polémique liée aux chiffres.
Kigali, la capitale, ambitionne de devenir la vitrine de la « Silicon Valley africaine » d’ici à 2027.
Selon les données officielles, la pauvreté serait passée de 59 % en 2001 à 45 % en 2010 et 39 % en 2014. « Si, entre 2001 et 2011, il est très clair que la pauvreté a baissé, depuis 2011, le bilan est plus mitigé », poursuit-elle.
Le prix de la reconstruction
Pour remettre le pays debout et le moderniser, Paul Kagame a déroulé une feuille de route précise. Il a notamment misé sur une économie de services fondée sur l’écotourisme haut de gamme et l’informatique. Kigali, la capitale, ambitionne ainsi de devenir la vitrine de la « Silicon Valley africaine » d’ici à 2027.
Parallèlement, le gouvernement a engagé dès 2008 une refonte du modèle agricole, qui a conduit à une augmentation de la productivité. Cette politique a profondément bouleversé les habitudes des Rwandais, dans un pays où l’agriculture représente plus d’un emploi sur deux et près de la moitié du PIB.
« À quelques kilomètres des lumières de la capitale, Kigali, on trouve des paysans obligés d’abandonner la polyculture grâce à laquelle ils s’assuraient une autosuffisance alimentaire pour appliquer une agriculture spécialisée réduisant la variété des productions disponibles », analyse ainsi l’économiste Thierry Amougou dans Rwanda : ombres et lumières d’un leadership vert, tribune parue en octobre 2021.
En matière d’écologie, le gouvernement ne s’embarrasse d’aucune forme de résistance…
La troisième dimension de cette reconstruction est écologique. On cite souvent le Rwanda comme précurseur pour être l’un des rares pays à avoir aligné son action climatique sur l’accord de Paris. De fait, le pays interdit depuis 2004 la production et l’utilisation de plastique et de ses dérivés utilitaires tels que les sacs. Mais à quel prix ? Les contrevenants, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, risquent la fermeture de leur commerce et se voient frappés de peines de prison ferme… En matière d’écologie, le gouvernement ne s’embarrasse d’aucune forme de résistance.
À qui profite la croissance ?
Concernant chacun de ces aspects, l’État a fait le choix d’une politique des « premiers de cordées », fondée sur le ruissellement de la richesse de la minorité urbaine vers la majorité rurale et populaire. Mais loin de ruisseler, la réussite rwandaise semble limitée à une certaine élite, avec pour conséquences une hausse de la pauvreté en zone rurale et une accentuation des inégalités de revenus.
Ce 15 juillet, jour de scrutin, Paul Kagame est assuré d'être réélu. L’homme fort du pays, depuis le génocide de 1994, président depuis un quart de siècle, a d’ailleurs fait modifier la Constitution en 2015, ce qui lui permet théoriquement de se représenter jusqu’en 2034. Lors du dernier scrutin, en 2017, il avait été réélu avec 99 % des voix. Un résultat électoral qui n’a rien d’un miracle démocratique…