Quand les élus lancent l’alerte

Des salariés fatigués, sous anxiolytiques, qui subissent des reproches ou effectuent des heures de travail non rémunérées. Des collègues harceleurs, des managers peu respectueux, des locaux hors normes. Dans plusieurs magasins Decathlon, des élus CFDT ont usé de leur droit d’alerte. Explications.

Par Claire Nillus— Publié le 30/06/2023 à 09h00

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© Franck Crusiaux/RÉA

1. Selon la loi Waserman du 21 mars 2022, est reconnu lanceur d’alerte « la personne physique qui signale ou divulgue,sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général,
une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation
d’un engagement international ratifiépar la France, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

Les élus au comité social et économique (CSE) ne sont pas des lanceurs d’alerte au sens de la loi Waserman1, mais ils disposent de droits d’alerte prévus par le code du travail. Ces dispositifs leur permettent de veiller au respect par l’employeur de son obligation de sécurité, obligeant ce dernier à prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En cas de constat, directement ou par l’intermédiaire d’un travailleur qu’il existe une cause de danger grave et imminent (article L2312-60 du code du travail) ou en cas d’atteinte « aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise », les élus ont le droit de saisir l’employeur, qui devra diligenter une enquête « sans délai » (L2312-59) et prendre les mesures qui s’imposent pour corriger le tir.

Alerter est une des prérogatives des membres élus au CSE, et c’est parfois leur seul moyen d’action lorsqu’ils appartiennent à un syndicat minoritaire dans l’entreprise. C’est par exemple le cas chez Decathlon, où la CFDT est en troisième position.

Les élus CFDT au CSE ont alerté à plusieurs reprises depuis 2019. « J’ai saisi la direction deux fois pour atteinte à la santé physique et mentale des personnes et deux fois pour danger grave et imminent », précise Justine Ammeloot, élue dans un magasin Decathlon du nord de la France. Elle a ainsi dénoncé les propos sexistes et racistes d’un responsable de rayon qui faisaient beaucoup de mal aux personnes travaillant avec lui.

Son supérieur hiérarchique était au courant et, au terme d’une enquête où tout l’accablait, la direction n’a pas eu d’autres choix que de le licencier.

Autre exemple : alertée par un salarié sur les risques psychosociaux élevés d’un service de paye de 70 salariés, son intervention a été suivie par un audit sur la charge de travail, des restructurations internes et une évolution du management en place. Son action ne donne pas toujours lieu à des suites immédiatement favorables et perceptibles par les salariés mais elle n’est pas sans conséquences.

« La direction cherche à nous intimider, et les salariés ont parfois du mal à témoigner par peur de représailles, confie Justine. Souvent, on m’a reproché de “chercher les ennuis” mais je peux maintenant me prévaloir de ce qui a été fait dans certains magasins pour convaincre de la nécessité d’agir. »

À propos de l'auteur

Claire Nillus
Journaliste

En faisant valoir leur droit d’alerte, les militants ont donc un moyen de faire bouger les choses lorsqu’un CSE est trop timide, voire quand il ne souhaite pas « faire de vagues ». Si tout ne peut pas être résolu par ce biais, et bien que ce soit l’employeur qui décide des modalités de l’enquête, le droit d’alerte est un caillou dans sa chaussure. Difficile de dire ensuite face à l’inspection du travail : « On ne savait pas ! »