Extrait du magazine n°484
Tous les jeudis, le Syndicat CFDT francilien de la propreté reçoit dans ses locaux, à Paris, des salariés du secteur confrontés à des employeurs sans états d’âme. Un espace d’information et de rencontre nécessaire. Reportage.

Dans la petite rue Euryale Dehaynin, du XIXe arrondissement de Paris, un bâtiment se démarque, avec sa façade en brique rouge et grise et ses drapeaux orange. C’est là que siège une bonne partie des syndicats CFDT de la capitale, dont le Syndicat francilien de la propreté (SFP). Premier syndicat de la confédération, avec ses 6000 adhérents, il organise tous les jeudis une permanence juridique1pour tous les salariés de son champ professionnel, qu’ils soient ou non adhérents de la CFDT. Un service essentiel pour ces femmes et ces hommes souvent précaires, maîtrisant mal le français, qui font les frais de certains employeurs sans scrupule.
Neuf heures, les portes du bâtiment s’ouvrent. Quatre permanents du syndicat sont sur le pont. Récapitulatif des rendez-vous de la matinée, fiche d’information à remplir pour celles et ceux dont c’est la première fois… Tout est prêt pour recevoir les travailleurs.
Magali est arrivée tôt ce matin-là. Habitante de Vitry-sur-Seine, au sud de Paris, elle assurait trois heures de ménage sur un site à côté de chez elle. À l’époque, elle travaillait pour Onet. En janvier, l’entreprise a perdu le contrat au bénéfice d’Arcade Groupe, qui est devenu son nouvel employeur. Puis les choses se sont corsées. Le 15 avril, elle reçoit une lettre lui annonçant une nouvelle affectation à Paris, à plus d’une heure de transport de son domicile, pour une prise de poste le 27 avril.

« Ils disent que le site à Vitry est fermé, mais il y a toujours du boulot. Ils ont embauché une nouvelle en CDI. Ils m’ont envoyée loin alors que j’aurais pu faire le poste », explique-t-elle, remontée contre son employeur. Elle ne compte pas se rendre sur le nouveau site.
En face d’elle, Mustapha Talahig, permanent du syndicat, tente de comprendre : « Si le site est fermé, l’employeur peut vous muter. Mais s’il embauche pour vous déplacer, c’est non. D’autant que ça fait onze ans que vous êtes sur le site. » Magali lui montre la lettre où elle conteste la mutation. « C’est très bien ce que vous avez écrit, mais il faut la renvoyer en recommandé, avec accusé de réception. Et le faire aujourd’hui, sinon ils pourront considérer que c’est un abandon de poste. »
Salaire raboté
Dans le box d’à côté, Veronica fait le point avec Guillaume Bah Dhy, un autre permanent, concernant son problème de salaire. Son patron lui a baissé son taux horaire mensuel, arguant que le nettoyage des sites sur lesquels elle est affectée ne nécessite plus autant de temps. Conséquence, son salaire a été revu à la baisse.
Après un courrier du syndicat, la situation a été régularisée et Veronica a touché ce qui lui manquait. Pour autant, elle n’est pas encore sereine. Voilà que l’employeur veut la muter sur un autre site, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), et modifier ses horaires. Or, avec les temps de transport, et son autre emploi dans le nettoyage, impossible de tout gérer. « On va demander l’intervention de notre délégué syndical, annonce Guillaume. Tu as bien fait de ne pas signer, tu ne vas pas aller à Montreuil. »


« C’est compliqué tout ça, ça me prend la tête », soupire Veronica. Guillaume lui prépare aussi un nouveau courrier, au cas où la conciliation avec le délégué syndical ne fonctionne pas.
Durant la matinée, le SFP a reçu une bonne dizaine de salariés. Il y a Coumba, qui se bat contre son employeur afin de passer en mi-temps thérapeutique, ou encore Roselyne, qui a eu des retraits de jours de congé et de minutes travaillées, alors que, malgré des retards liés au transport, elle a toujours fait son travail : nettoyer 48 toilettes en trois heures. Un adhérent sans-papiers, lui, est venu pour savoir comment il pouvait être régularisé par le travail.
Des travailleurs surchargés
« Nous qui sommes là depuis plusieurs années, on constate une dégradation des conditions de travail de ces salariés. De plus en plus de travailleurs sont frappés d’inaptitude », affirme Patrick Djibongo, responsable de la permanence et trésorier du syndicat. « Le Covid a révélé pas mal de dysfonctionnements. Combien de salariés nous ont contactés parce qu’ils n’avaient pas de gants ? On est pourtant dans la propreté… »
Pour M’hamed Buhallut, numéro un du SFP, « il y a une forte concurrence. Les clients en veulent toujours plus pour moins cher. Et le pire, c’est l’État. »
Les deux responsables ne voient pas l’avenir en rose. « Ce que l’on sent arriver, ce sont les nettoyages à la commande, comme dans l’hôtellerie, donc une augmentation de la précarité. »
Retour dans la salle d’attente de la permanence. Début d’après-midi, d’autres salariés arrivent. Les permanents du matin ont laissé leur place à une autre équipe du syndicat. Sept personnes ont pris rendez-vous. « Quand il y a des soucis, les employeurs partent du principe que les salariés ne feront rien, affirme Patrick. Grâce à cette permanence, nous leur donnons les outils pour réagir et se faire respecter. »
La Propreté en chiffres
Le secteur du nettoyage emploie 550 000 personnes, majoritairement des femmes (64 %) selon la Fédération des entreprises de la propreté. La moitié des salariés a plusieurs employeurs, bien souvent dans la propreté : une conséquence des transferts de salariés d’une entreprise à une autre au gré de la perte ou de l’obtention d’un marché.
Ils sont 48 % à travailler 24 heures par semaine ou moins. Sans surprise, les femmes se concentrent dans les bas salaires : 65 % des salariées du secteur touchent moins de 900 euros. Enfin, une large partie de la main-d’œuvre ne reste pas dans le secteur : 50 % des salariés ont moins de trois ans d’ancienneté. À noter que la branche compte environ 14 000 entreprises qui ont réalisé en 2020, 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires.