“Nos collègues enseignants ne se censurent pas”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3893

Une semaine et demie est passée depuis l’assassinat à Arras de Dominique Bernard par un ancien élève radicalisé. Secrétaire générale du Sgen-CFDT, Catherine Nave-Bekhti appelle l’État à faire des progrès en matière de protection des agents.

Par Jérôme Citron— Publié le 24/10/2023 à 12h00

Catherine Nave-Bekthi, secrétaire générale du Sgen-CFDT, a fait une intervention remarquée à la tribune du Conseil national confédéral de la CFDT dans la matinée du 17 octobre.
Catherine Nave-Bekthi, secrétaire générale du Sgen-CFDT, a fait une intervention remarquée à la tribune du Conseil national confédéral de la CFDT dans la matinée du 17 octobre.© Syndheb

Quel est l’actuel état d’esprit des enseignants ?

Il y a une fatigue, une forme d’épuisement professionnel qui précédait l’attentat à Arras. L’assassinat de Dominique Bernard est un choc majeur survenant dans un climat qui était déjà très lourd au sein des établissements scolaires. Depuis le début de l’année, il y a une recrudescence des alertes à la bombe, des évacuations. Les enseignants, dans leur très grande majorité, ont intégré le risque terroriste. Ils savent que l’école est une cible. L’assassinat de ce collègue vient le rappeler douloureusement, trois ans après celui de Samuel Paty.

Malgré tout, ils sont là et font leur travail. Il faut d’ailleurs être très prudent avant d’affirmer que les enseignants ont peur d’enseigner telle partie du programme ou qu’ils renoncent à aborder des sujets comme la Shoah. Ce n’est pas ce que nous remontent nos adhérents.

La question de la sécurisation des établissements scolaires se pose-t-elle ?

Bien entendu, elle se pose, même si les personnels ne veulent pas que les établissements se changent en bunkers. Les enseignants souhaitent surtout qu’il y ait davantage d’adultes non enseignants dans les lycées, les collèges et les écoles. Dans le cas d’Arras, on voit bien que la présence de personnels qui n’étaient pas chargés d’une classe a permis de retarder le terroriste en attendant l’arrivée de la police. Or, dans les écoles notamment, il n’y a souvent personne à part les enseignants.

Il faudra également faire des progrès en matière de protection fonctionnelle. Un enseignant qui se sent menacé, que ce soit dans sa classe ou sur les réseaux sociaux, doit pouvoir être aidé sur les plans juridique et psychologique de manière rapide et efficace. Les enseignants doivent en outre pouvoir alerter leur hiérarchie sans craindre que cela ne leur retombe dessus. Les mentalités changent mais cela reste difficile pour un enseignant de parler de difficultés rencontrées parce que subsiste la crainte de se voir adresser des reproches en lieu et place d’un indispensable soutien.

Cela dit, on peut quand même affirmer que la culture de la sécurité a progressé depuis 2015. Les enseignants sont davantage préparés et savent ce qu’ils doivent faire. Et dans le cas d’Arras, la police est intervenue très vite, les personnels ont assuré la mise en sécurité des élèves. Malheureusement, le risque zéro n’existe pas.

L’école doit-elle adapter ses programmes, parler davantage des valeurs républicaines, de la laïcité ?

L’école doit davantage se préoccuper de faire vivre les valeurs républicaines. On ne peut se contenter de les enseigner de manière théorique et conceptuelle, cela ne suffit pas. Or rien n’a été fait pour renforcer la démocratie collégienne ou lycéenne. Il faut redonner du temps aux élèves, du temps pour dialoguer, débattre, mener à bien des projets. Les programmes sont trop chargés. Cela empêche de construire ces temps de débat et de projets qui permettraient non seulement de parler des valeurs républicaines et de la laïcité mais aussi de les faire vivre.

De plus, la polarisation des débats sur la laïcité et l’aspect inflammable de ce sujet empêchent souvent d’avancer. Les élèves en viennent à penser qu’ils n’ont pas le droit de parler de leur religion à l’école. La laïcité devient synonyme d’interdit, un comble ! Il faudrait pourtant avancer à propos de l’enseignement du fait religieux, de la distinction entre croyance et connaissance, etc. L’école doit se poser ces questions pour progresser, mais il faut veiller à ne pas inverser le discours et rendre responsable l’école de ce qui arrive.

La religion n’est d’ailleurs pas le seul sujet de tension en ce moment…

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

La laïcité de l’école et des enseignements ne concerne pas que la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse. Cela concerne aussi les difficultés rencontrées par de nombreux enseignants quand il s’agit d’aborder des sujets comme l’éducation à la sexualité, le genre ou les migrations. L’extrême droite est de plus en plus présente devant les établissements scolaires et n’hésite pas à distribuer des tracts qui jettent l’opprobre sur certains enseignants.

Des sorties scolaires ont dû être annulées pour raison de sécurité, et des collègues ont été attaqués sur les réseaux sociaux. Il ne faudrait pas passer sous silence ces menaces. L’école, parce qu’elle défend la tolérance, est attaquée par tous les extrémismes ; il revient à l’État de protéger efficacement ses agents.