Extrait du magazine n°484
Permettant à une entreprise de mettre ses collaborateurs à disposition d’un organisme d’intérêt général, le mécénat de compétences prend de l’ampleur depuis une dizaine d’années, en particulier dans les grandes entreprises.

Francine Martin, fondatrice de l’épicerie solidaire de Bû, une commune de 1800 habitants située en Eure-et-Loir, a été surprise de recevoir, en 2019, un appel d’une employée de La Poste lui proposant de travailler gratuitement pour son association pendant quinze mois : « Je pensais que ça ne fonctionnerait pas car nous sommes une petite association composée uniquement de bénévoles. Il a fallu se prêter à un processus administratif
de plusieurs mois afin d’être reconnu d’intérêt général, mais grâce à cela, nous avons bénéficié d’une salariée », explique Francine Martin.
«Normalement, La Poste signe des conventions avec des grosses associations mais j’avais envie de travailler dans une petite structure, proche de chez moi », précise Joëlle Lefèvre, auparavant responsable de la gestion de 13 points postaux.
Au sein de l’épicerie solidaire, l’ancienne cadre a fait preuve d’une grande polyvalence : « J’ai refait le plan de maîtrise sanitaire de la chaîne du froid, je me suis occupée des plannings de l’épicerie, des ateliers de réinsertion et d’informatique, et j’ai fait le lien avec les communes. »
Un outil de gestion des fins de carrière pour les grands groupes
Adoptée en 2003, la loi Aillagon, (relative au mécénat, aux associations et aux fondations) sur le « don » de compétences, ouvre aux entreprises le droit à une réduction d’impôts de 60 % du montant de la rémunération du salarié mis à disposition.
Une incitation fiscale qui a aidé au développement du mécénat de compétences depuis une dizaine d’années, majoritairement au sein des grandes entreprises. Une grande entreprise sur deux pratique ce mécénat, selon une étude Ifop de novembre 2020.
À La Poste, il se pratique depuis 2018 dans le cadre des temps partiels aménagés pour les séniors à partir de 58 ans : « On peut être mis à disposition d’une association à temps plein pendant neuf mois ou à temps partiel pendant quinze mois, rémunérés 70 %, ou 80 %, si on a commencé le mécénat à 59 ans», explique Joëlle Lefèvre. À la fin de sa mission, le salarié bénéficie d’une retraite anticipée. Si Joëlle se dit heureuse de son expérience, elle confie que les conditions de travail qu’elle a connues lors des dernières années de sa vie active l’ont encouragée à partir : « J’étais au bout de mes possibilités et je ne supportais plus l’exigence constante qu’on nous demandait d’avoir vis-à-vis de nos agents. »
Chez Orange, l’un des groupes précurseurs, le mécénat s’est mis en place dès 2010. « Trois mille cent employés en ont déjà bénéficié », précise Olivier Drigny, élu CFDT chez le géant des télécommunications. Outre le fait de communiquer sur sa politique de RSE (responsabilité sociétale), l’intérêt pour le groupe est de favoriser les départs anticipés pour pouvoir recruter sur les métiers en plein développement dans l’IT (technologies de l’information), la cybersécurité ou l’intelligence artificielle. Une expérience «pleine de sens» pour Sylvie Jeanjacquot.
Cette ancienne responsable des relations grandes écoles et attractivité chez Orange bénéficie d’un temps partiel sénior de trente-six mois depuis septembre 2021, au sein de l’association Les Clowns de l’espoir, qu’elle prévoit de rejoindre en tant que bénévole à la fin de sa mission. Par ailleurs, d’ici à la rentrée 2022, 250 salariés d’Orange avec au moins dix ans d’ancienneté pourront demander un « temps de respiration » de trois à douze mois, rémunérés à 100 % : « C’est une expérimentation sur deux ans, négociée par la CFDT lors de deux réunions bilatérales avec le patronat et qui répond à une demande des salariés. Pour ceux qui choisiront une mission longue, il faudra construire un projet professionnel de retour. Nous serons bien sûr vigilants sur cette question », confirme Olivier Drigny.
Des missions de moins d’une semaine
Chez Axa, les salariés qui le souhaitent peuvent effectuer des mécénats en début, milieu ou fin de carrière au sein des associations parrainées dans le cadre du dispositif Atout Cœur, explique Bernard Bosc, délégué syndical CFDT. Toutefois, les longues parenthèses restent compliquées à mettre en place avant la fin de carrière.
Enfin, si les grands groupes communiquent plus volontiers sur les mécénats de fin de carrière, dans les faits « 90 % des missions durent moins de dix jours », souligne, Jean-Michel Pasquier, fondateur de la plateforme Koeo. Créé il y a treize ans, cet acteur de l’économie sociale et solidaire met en relation entreprises mécènes et associations : « Les missions durent d’une demi-journée à plusieurs mois. Elles peuvent aller de l’aide aux bénéficiaires d’une association pour refaire un CV à la formation de bénévoles aux outils numériques, en passant par la construction d’une base de données CRM », détaille-t-il.
Le dispositif est encore mal connu dans les TPE/PME, précise les professionnels de la plateforme Koeo qui interviennent en amont auprès des syndicats et des directions afin de faire découvrir les associations, mais aussi déconstruire certaines idées reçues… Non, le mécénat de compétences n’est pas du chômage partiel déguisé !
Premières initiatives dans le public
Jusqu’à présent limité au secteur privé, le mécénat fait timidement son entrée dans le public. Précurseur, le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis y a recours dès 2020 dans le cadre d’une expérimentation baptisée « Agent.e.s solidaires ». Une soixantaine d’agents de la collectivité ont ainsi pu mener des actions de volontariat dans des associations du territoire, jusqu’à deux jours par mois sur leur temps de travail et avec maintien de salaire.
La loi 3DS du 9 février 2022, « relative à la différentiation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification », permet à présent de passer de la phase expérimentation à celle du déploiement à plus grande échelle.