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L’omerta persiste

Les violences sexistes et sexuelles sont encore une réalité quotidienne pour de nombreuses salariées et agentes. Difficile pour les victimes de se faire entendre et d’obtenir gain de cause.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 27/01/2023 à 10h00

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© Oriane Safré-Proust

«T’as de la chance que je sois marié, sinon je t’aurais bien baisée.» Cette phrase, ­Juliette1, commerciale, l’a entendue il y a quatre ans lorsqu’elle travaillait dans une entreprise du bâtiment. «J’étais la seule femme dans une équipe d’hommes. J’ai rencontré aussi des difficultés avec un client qui m’appelait pour me dire qu’il pensait à moi, qu’il voulait coucher avec moi. Je n’ai pas été défendue.» Depuis, elle exerce un nouvel emploi dans une régie publicitaire… et rencontre les mêmes pratiques : «On subit des violences sexistes et sexuelles de la part de nos clients et de nos collègues, encore aujourd’hui. Quand j’entends que les choses ont changé, je suis sidérée, car ce n’est pas totalement vrai.»

« Parler coûte cher »

Le téléphone de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) ne cesse de sonner. Cette structure d’aide et de formation, née en 1985, tient un accueil téléphonique trois fois par semaine1pour les victimes de violences sexistes et sexuelles. « Les situations sont diverses. Certaines appellent pour pouvoir qualifier la violence dont elles sont victimes, d’autres parce qu’elles viennent de dénoncer des faits à l’employeur et que ça se passe mal, d’autres encore sont déjà en procédure », explique Vesna Nikolov (lire l’interview), juriste et salariée de l’association, qui se relaie au téléphone avec ses collègues. « On a entre trois et neuf saisines par semaine, et ce, depuis plusieurs années maintenant », souligne-t-elle.

À force d’accompagner des victimes, la juriste observe que ces violences concernent tous les âges et toutes les classes sociales. « Malgré #MeToo et la médiatisation des violences sexistes et sexuelles, les femmes restent confrontées à du déni dans les collectifs de travail. Les collègues se solidariseront plus avec le mis en cause que la victime, et, bien souvent, cette dernière sera licenciée ou devra quitter son emploi. Parler coûte cher. »

“Elles ont fini par démissionner, poussées à bout […] Le directeur en question, lui, est toujours en poste”

Nadia, salariée d’une association nationale du secteur médico-social.

C’est ce qu’a constaté Nadia, salariée d’une association nationale du secteur médico-social. Deux de ses collègues ont dénoncé des faits de harcèlement sexuel commis par un supérieur hiérarchique : «Elles ont fini par démissionner, poussées à bout», rapporte Nadia. Le directeur en question, lui, est toujours en poste, «alors qu’il a été condamné par le conseil de prud’hommes pour ce motif. Ça nous choque un peu… Tout le monde connaît la réputation de ce monsieur.»

Selon la loi, les employeurs sont tenus de lutter contre le harcèlement, d’informer et de former les salariés et d’instaurer des procédures pour traiter les cas lorsqu’il y a un signalement. Pour autant, les habitudes ont la vie dure. «Dans mon association, des choses ont été mises en place pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, mais ça ne change rien. On se demande à quoi ça sert», résume Nadia. Valérie 1fait le même constat dans son entreprise, une filiale d’un grand groupe de l’aérospatiale et de la défense. S’il y a un accord concernant l’égalité professionnelle au niveau du groupe, «la prise de conscience est plus ou moins bonne selon la volonté politique des dirigeants en local. Et quand le responsable est lui-même sexiste, cette volonté politique est remise en cause», observe-t-elle.

Où travaille Valérie, une dizaine de salariées ont déjà tenté de s’opposer à un dirigeant, en vain : «Il fait des remarques sexistes, se colle aux femmes […]. Il en est déjà au deuxième avertissement. Mais quand on s’exprime, ce n’est pas suivi d’effets. La situation est toxique.»

Prouver le harcèlement

Lorsque les victimes souhaitent aller en justice, d’autres problèmes se posent, notamment pour prouver les agissements et obtenir réparation. C’est difficile, mais c’est possible. Daniel Fouchereau est conseiller prud’homal CFDT dans l’ouest de la France. Il y a cinq ans, une salariée qui travaillait dans une petite entreprise du commerce est venue contester son licenciement pour inaptitude. Son employeur la harcelait sexuellement. «Il se débrouillait toujours pour qu’elle finisse sa journée dans une partie isolée de l’entreprise. C’était sa terreur.» Les conseillers n’avaient pour preuve que des SMS échangés entre la victime et une collègue.

Pour étayer le dossier, les conseillers ont décidé de rouvrir l’enquête et d’interroger tous les salariés. C’est finalement la sœur du patron, elle-même salariée dans l’entreprise, qui avouera avoir été témoin des agissements de son frère. Et une ancienne salariée confirmera que le comportement du patron est l’une des raisons pour lesquelles elle a quitté l’entreprise. La victime a finalement obtenu gain de cause devant les prud’hommes : son licenciement a été requalifié et elle a obtenu des indemnités. Le jugement a été confirmé en appel.

Un exemple parmi tant d’autres qui rappelle la difficulté de prouver la réalité du harcèlement. «Il faut lister l’intégralité des événements et des faits, même anodins, pour éviter d’avoir une plainte incomplète. Préciser les agissements, les dater si possible, dire si c’est répétitif, donner le nom de témoins directs ou indirects, faire attester sa famille, son ou sa conjointe, ses amis», recommande Me Nadia Bouchama, avocate au barreau de Bordeaux. Cette professionnelle conseille aussi de ne pas hésiter à saisir l’inspection du travail, qui a des moyens d’investigation et peut produire des procès-verbaux d’infraction, qui constitueront des preuves. Autant de démarches qui nécessitent de se faire accompagner. Les élus du personnel sont un recours, d’où l’importance de les sensibiliser et les former. Un enjeu pour la CFDT.

Harcèlement sexuel
Le code du travail (L1153-1) reconnaît deux formes de harcèlement sexuel :

« des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés qui soit portent atteinte à [la] dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent […] une situation intimidante, hostile ou offensante » ;

« toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

 Agissements sexistes

            « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » (L1142-2-1 du code du travail.)