Extrait du magazine n°489
Aider et se faire aider. Telle est la problématique de millions de salariés qui cumulent emploi et soutien à un proche, qu’il soit âgé ou en situation de handicap. Un phénomène en hausse au regard du vieillissement de la population et des transformations de la société. L’entreprise ne peut rester indifférente.

La part des aidants qui travaillent ne cesse d’augmenter. Selon un baromètre BVA/Fondation April, elle est passée de 52 % en 2018 à 61 % en 2019. Ainsi, en France, entre 8 et 11 millions de personnes sont des aidants, soit un Français sur six en 2020 et un sur quatre en 2030, selon les prévisions du ministère du Travail.
Un quart des aidants consacre plus de vingt heures par semaine à un proche. Pourtant, la reconnaissance de ce rôle par les employeurs est encore trop souvent limitée. « Ils auraient tout intérêt à prendre soin de leurs salariés aidants car ces personnes ont fait des choix difficiles et admirables, affirme Hélène Rossinot, médecin de santé publique, auteure d’Être présent pour ses parents (éditions de L’Observatoire). De plus, avoir une activité professionnelle pour les aidants est une vraie bouffée d’air frais. La plupart me confient qu’ils souhaitent continuer à travailler plutôt que se désocialiser. »
“Au travail, les aidants évoquent aussi des difficultés de concentration et du stress, et beaucoup craignent de se voir bloqués dans leur évolution professionnelle ou de perdre leur emploi, notamment en raison de leurs absences.”
Encore faut-il que cela soit possible. Pour conjuguer aide et travail, les salariés ont besoin d’être eux-mêmes aidés. « L’aidance est un vrai problème de santé publique, poursuit-elle. Les aidants souffrent d’anxiété, d’épuisement physique, de troubles musculosquelettiques. Beaucoup font le travail d’un aide-soignant ou d’un infirmier. Pour les aider, il faudrait déjà pouvoir mieux aider leurs proches et les soulager de certaines tâches de la vie quotidienne comme le lever et le coucher. »
La peur d’être discriminés
1. Le prénom a été changé.
Au travail, les aidants évoquent aussi des difficultés de concentration et du stress, et beaucoup craignent de se voir bloqués dans leur évolution professionnelle ou de perdre leur emploi, notamment en raison de leurs absences.
Dans une enquête de Malakoff Humanis, 35 % des salariés aidants disent ainsi ne pas avoir parlé de leur situation à leurs managers, le plus souvent par crainte des conséquences négatives sur leur carrière. « La première chose à faire en entreprise pour mieux accompagner les salariés aidants, c’est de changer le regard que l’on a sur eux. Aucun ne se confiera s’il n’y a pas un climat de confiance dans l’entreprise », affirme Sandrine1, maman d’un enfant autiste et cadre au forfait jours dans un grand groupe d’ingénierie (2 000 salariés). Si elle bénéficie du statut de « proche aidant » défini par la loi (lire l’encadré), elle déclare ne s’en être jamais servi.
« Dans mon entreprise, avoir des enfants est encore vu comme un frein dans la carrière d’une femme. Alors avoir un enfant handicapé… Depuis quatorze ans, je me suis inventé une vie de famille idéale pour écarter tout commentaire à ce sujet. Mais comme je suis secrétaire du CSE, je me suis battue pour que les mots “proche aidant” apparaissent dans tous nos accords. »
Si Sandrine a pu être aidée par son conjoint, qui a cessé un temps de travailler puis a repris une activité à temps partiel, elle reconnaît que le déploiement du télétravail depuis deux ans est un véritable soulagement.
Néanmoins, beaucoup d’autres leviers pourraient être activés comme des aménagements horaires, la possibilité de prendre des congés spécifiques, des autorisations d’absence, des jours de télétravail supplémentaires ou encore le don de jours entre collègues.
Le congé de proche aidant, un progrès ?
Un congé de proche aidant a été créé par la loi d’Adaptation de la société au vieillissement de 2015, en remplacement de l’ancien congé de soutien familial. Depuis octobre 2020, il peut être indemnisé par l’allocation journalière de congé de proche aidant (lire ci-dessous). Si le demandeur remplit les conditions requises (il doit fournir, entre autres, un justificatif médical de la perte d’autonomie du proche aidé), l’employeur n’a pas le droit de le refuser. Pendant la durée du congé, le contrat de travail du salarié est suspendu.
2. Chiffre de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, 2014.
À son retour de congé, il conserve les avantages acquis, doit retrouver son poste ou un poste similaire ainsi qu’une rémunération au moins équivalente. Problème : la durée du congé est limitée à trois mois, renouvelables, dans la limite d’un an sur la totalité de la carrière du salarié. Alors, même si le salarié a la possibilité de transformer ce congé en période d’activité à temps partiel ou de le fractionner (par demi-journées), trois mois sont vite passés. En outre, rien n’est prévu pour les aidants qui doivent faire face à une longue maladie ou tout autre accident de la vie impactant un de leurs proches.
Enfin, pour qu’un salarié puisse bénéficier d’un congé de proche aidant, il faut que la personne aidée ait déjà un dossier APA en règle…
« Ce congé ne permet pas de se rendre disponible en cas d’urgence. Beaucoup de solutions restent à trouver. En France, rien que pour la prise en charge des plus de 60 ans, le dévouement des aidants représente une économie de 11 milliards d’euros2. C’est faramineux », observe Hélène Rossinot.
Que prévoit la loi ?
Pour les seniors
La loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées rend officiels la place et le rôle des aidants familiaux. La loi no 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement accorde le statut de « proche aidant » au conjoint, parent, voisin ou ami qui apporte son aide de manière régulière et non professionnelle à une personne dépendante. À ce titre, les proches aidants peuvent obtenir un congé de proche aidant, des aides financières et des relais.
L’allocation journalière du proche aidant (Ajpa)
Revenu de remplacement pour un proche aidant d’une personne en situation de handicap ou de perte d’autonomie qui réduit ou cesse son activité professionnelle. En 2022, le montant journalier de l’Ajpa était fixé à 58,59 euros et 30,47 euros par demi-journée.
L’aide au répit
Pour une demande d’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ou son renouvellement, une évaluation des besoins de la personne en perte d’autonomie, mais aussi ceux des proches aidants, est réalisée. L’aide au répit peut alors intégrer le plan d’aide de l’APA.
Elle consiste à pourvoir un accueil de jour ou un hébergement temporaire, un relais à domicile pour que le proche aidant puisse se reposer et avoir un peu de temps libre.
Pour les personnes en situation de handicap
Une personne en situation de handicap peut bénéficier de la prestation de compensation du handicap (PCH), qui propose cinq formes d’aide dont une part d’aide « humaine » (4,24 euros l’heure pour l’aidant et 6,36 euros si l’aidant interrompt ou réduit son activité professionnelle). Pour un enfant handicapé de moins de 20 ans ayant besoin d’une présence soutenue, l’allocation journalière de présence parentale s’élève à 58,59 euros par jour et 30,47 euros pour une demi-journée.