Les Libanais se tournent vers le soleil

Suzanne Abdul-Reda et ses trois enfants vivent avec 8 ampères, ce qui est insuffisant pour faire fonctionner un frigo et un chauffe-eau. Ses panneaux solaires lui ont coûté 2800 dollars. Un investissement qu’elle voit aussi comme un « acte de résistance contre la mafia des générateurs ».
Suzanne Abdul-Reda et ses trois enfants vivent avec 8 ampères, ce qui est insuffisant pour faire fonctionner un frigo et un chauffe-eau. Ses panneaux solaires lui ont coûté 2800 dollars. Un investissement qu’elle voit aussi comme un « acte de résistance contre la mafia des générateurs ».© Patrick Gaillardin

iconeExtrait du magazine n°489

Il y a déjà des décennies que les Libanais vivent au rythme des coupures d’électricité. Mais depuis 2019 et le début d’une terrible crise économique, elles ont atteint une ampleur insupportable. Désormais, l’État libanais ne parvient pas à fournir plus d’une heure d’électricité par jour à ses habitants.

Par Laure Delacloche— Publié le 23/12/2022 à 10h00

Pour ne pas vivre dans le noir, de nombreux Libanais ont recours à des générateurs privés, mais ils sont toujours plus nombreux à ne plus pouvoir s’acquitter de leurs factures. Suzanne Abdul-Reda, professeure à l’Université libanaise, a vu son salaire passer de 4 000 dollars à 150 dollars, en trois ans du fait de l’effondrement de la monnaie nationale. Impossible de régler les 100 dollars d’électricité mensuels. Pour échapper à l’obscurité, qui tombe dès 17 heures, cette mère de trois enfants a installé quatre panneaux solaires sur le toit de son appartement, à Beyrouth.

Petit à petit, les Libanais ont abandonné le diesel au profit du soleil. Les toits se couvrent de panneaux, et les publicités pour les installations sont visibles le long des routes. Cette stratégie de survie est aussi adoptée par les chefs d’entreprise et les petits commerçants. La transition énergétique du pays se fait à marche forcée, sans soutien de l’État, pour des raisons économiques et non écologiques.

La solution n’est pas idéale : la famille est plongée dans le noir dès 21 heures, malgré les batteries installées, à moins que l’État fournisse un peu d’électricité. Quand l’installation disjoncte, Suzanne doit la remettre en route.
La solution n’est pas idéale : la famille est plongée dans le noir dès 21 heures, malgré les batteries installées, à moins que l’État fournisse un peu d’électricité. Quand l’installation disjoncte, Suzanne doit la remettre en route.© Patrick Gaillardin
Georges et Georgette Boutros, 81 ans et 75 ans, vivent sans générateur depuis un an. Les voisins leur louent une rallonge afin qu’ils puissent allumer une ou deux ampoules.
Georges et Georgette Boutros, 81 ans et 75 ans, vivent sans générateur depuis un an. Les voisins leur louent une rallonge afin qu’ils puissent allumer une ou deux ampoules.© Patrick Gaillardin
Une fois le soleil couché, la capitale libanaise est plongée dans le noir. Subsiste l’éclairage de certains commerces. Cette obscurité provoque aussi des accidents sur la route.
Une fois le soleil couché, la capitale libanaise est plongée dans le noir. Subsiste l’éclairage de certains commerces. Cette obscurité provoque aussi des accidents sur la route.© Patrick Gaillardin
La raison de tous ces maux ? La mauvaise gestion de la compagnie nationale, Électricité du Liban. Son siège a été soufflé par l’explosion dans le port de Beyrouth,
en 2020. La paralysie politique et la crise économique entravent toute prise de décision.
La raison de tous ces maux ? La mauvaise gestion de la compagnie nationale, Électricité du Liban. Son siège a été soufflé par l’explosion dans le port de Beyrouth, en 2020. La paralysie politique et la crise économique entravent toute prise de décision. © Patrick Gaillardin
Palliant les défaillances de l’État depuis de longues années, des générateurs opérés par des sociétés privées et fonctionnant au gazole prennent le relais. Bruyants et polluants, ils assurent entre huit et seize heures d’électricité.
Palliant les défaillances de l’État depuis de longues années, des générateurs opérés par des sociétés privées et fonctionnant au gazole prennent le relais. Bruyants et polluants, ils assurent entre huit et seize heures d’électricité.© Patrick Gaillardin
Lancée en 2014, la première centrale photovoltaïque du pays a été baptisée « Beirut River Solar Snake ». Elle est aujourd'hui sous-utilisée. Elle ne fonctionne que quand le réseau public est rétabli (une heure par jour).
Lancée en 2014, la première centrale photovoltaïque du pays a été baptisée « Beirut River Solar Snake ». Elle est aujourd'hui sous-utilisée. Elle ne fonctionne que quand le réseau public est rétabli (une heure par jour).© Patrick Gaillardin
« Les énergies renouvelables doivent représenter 30 % du mix énergétique du Liban d’ici à 2030, mais on pourrait dépasser cet objectif », affirme Pierre El Khoury, directeur général du Centre libanais pour la conservation de l’énergie.
« Les énergies renouvelables doivent représenter 30 % du mix énergétique du Liban d’ici à 2030, mais on pourrait dépasser cet objectif », affirme Pierre El Khoury, directeur général du Centre libanais pour la conservation de l’énergie.© Patrick Gaillardin
« Nous dépensons 500 000 dollars par mois en carburant pour avoir de l’électricité en permanence », explique Nassib Nasr, directeur de l’Hôtel-Dieu, un prestigieux hôpital privé. 
Un million de dollars a été investi dans son parc solaire, limité par la taille de ses toits.
« Nous dépensons 500 000 dollars par mois en carburant pour avoir de l’électricité en permanence », explique Nassib Nasr, directeur de l’Hôtel-Dieu, un prestigieux hôpital privé. Un million de dollars a été investi dans son parc solaire, limité par la taille de ses toits. © Patrick Gaillardin
Même logique pour Patrick Charabati, dirigeant d’une entreprise de vente et d’entretien de camions, qui a investi 60 000 dollars en mai dernier. Ses panneaux solaires, couplés à son générateur, lui font économiser la moitié de ses dépenses de carburant.
Même logique pour Patrick Charabati, dirigeant d’une entreprise de vente et d’entretien de camions, qui a investi 60 000 dollars en mai dernier. Ses panneaux solaires, couplés à son générateur, lui font économiser la moitié de ses dépenses de carburant.© Patrick Gaillardin
Les petits commerçants n’ont ni les moyens ni la surface nécessaire pour installer des panneaux. Lors des coupures du générateur, Jacqueline Haddad, restauratrice, utilise son groupe électrogène.
Les petits commerçants n’ont ni les moyens ni la surface nécessaire pour installer des panneaux. Lors des coupures du générateur, Jacqueline Haddad, restauratrice, utilise son groupe électrogène.© Patrick Gaillardin
L’Union européenne rénove un ancien système solaire dans cette école publique. Des panneaux plus efficaces et les batteries devraient faire baisser la facture de 70 %. 
La mairie ne peut plus payer : c’est l’école qui doit trouver l’argent.
L’Union européenne rénove un ancien système solaire dans cette école publique. Des panneaux plus efficaces et les batteries devraient faire baisser la facture de 70 %. La mairie ne peut plus payer : c’est l’école qui doit trouver l’argent. © Patrick Gaillardin
La multiplication de ces batteries inquiète : elles contiennent du plomb, du lithium-ion, des métaux rares… Vendues à des déchetteries, les batteries sont traitées par des entreprises qui les démantèlent.
La multiplication de ces batteries inquiète : elles contiennent du plomb, du lithium-ion, des métaux rares… Vendues à des déchetteries, les batteries sont traitées par des entreprises qui les démantèlent.© Patrick Gaillardin
« Elles répandent de l’acide dans le sol, polluant la nappe phréatique », observe José Antonio Naya Villaverde, directeur de l’ONG italienne ICU au Liban. Lui étudie une solution de filière de fin de vie : « Beaucoup sont de mauvaise qualité, elles seront source de pollution d’ici à trois ans. »
« Elles répandent de l’acide dans le sol, polluant la nappe phréatique », observe José Antonio Naya Villaverde, directeur de l’ONG italienne ICU au Liban. Lui étudie une solution de filière de fin de vie : « Beaucoup sont de mauvaise qualité, elles seront source de pollution d’ici à trois ans. »© Patrick Gaillardin
L’écologie préoccupe peu les Libanais, dans l’urgence de la survie. Pascale et Elias El Khoury ont choisi d’installer huit panneaux solaires et quatre batteries sur leur toit pour économiser, tout en conservant leur abonnement au générateur, modulable. Eux et leurs trois enfants testent leur système cet hiver : « Devrons-nous installer une éolienne pour pallier le manque d’ensoleillement ? Une chose est certaine, nous devrons être plus économes en énergie. »
L’écologie préoccupe peu les Libanais, dans l’urgence de la survie. Pascale et Elias El Khoury ont choisi d’installer huit panneaux solaires et quatre batteries sur leur toit pour économiser, tout en conservant leur abonnement au générateur, modulable. Eux et leurs trois enfants testent leur système cet hiver : « Devrons-nous installer une éolienne pour pallier le manque d’ensoleillement ? Une chose est certaine, nous devrons être plus économes en énergie. »© Patrick Gaillardin