“Le Qatar ne mérite pas de présider la conférence de l’OIT”

temps de lectureTemps de lecture 5 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3878

Réunie à Genève du 5 au 16 juin, la Conférence internationale du Travail, l’organe décisionnel de l’OIT, est cette année présidée par le Qatar. Ubuesque, selon les organisations syndicales françaises, qui dénoncent le mépris de l’émirat du Golfe pour les droits fondamentaux et les normes internationales du travail.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 13/06/2023 à 12h00

Lors de l’ouverture, le 5 juin, de la 111e Conférence internationale du travail, à Genève.
Lors de l’ouverture, le 5 juin, de la 111e Conférence internationale du travail, à Genève.© Crozet – Pouteau/ILO

1. Quelques mois après la révélation d’accusations de corruption (Qatargate), à l’occasion de laquelle le nom d’Al-Marri a été cité.

On a connu des entrées en matière plus apaisées. Mais il est impossible pour les organisations syndicales françaises qui suivent les travaux de la 111e Conférence internationale du travail de ne pas réagir à l’élection officielle, par les 187 pays membres de l’OIT, du ministre qatari du Travail, Ali Ben Samikh Al-Marri.1

Bien qu’ayant un caractère essentiellement protocolaire, la présidence de la conférence de l’OIT, parfois qualifiée de « Parlement mondial des travailleurs », est trop symbolique aux yeux du mouvement syndical pour être assurée par un pays régulièrement pointé du doigt pour ses manquements en matière de droit du travail et de droits humains. « Avec six conventions ratifiées sur 190, le Qatar figure parmi les derniers pays du monde en termes de couverture par les normes internationales du travail, notamment par les conventions fondamentales sur les libertés syndicales et le droit à la négociation collective », écrivent la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CFC, la CFTC et l’Unsa dans un communiqué intersyndical.

Ces organisations syndicales « s’offusquent de cette présidence qatarie et demandent que de réelles exigences soient fixées à ce pays pour qu’il respecte les normes et standards de l’OIT ». Se moquant des règles tripartites qui régissent l’OIT, le Qatar enverrait depuis plusieurs années à Genève la direction d’entreprises qataries pour siéger au sein du groupe des travailleurs.

Des courriers et une rencontre

Les syndicalistes français n’ont pas été les seuls à réagir. Au congrès de Berlin, la Confédération européenne des syndicats avait déjà adopté, le 26 mai, une résolution dénonçant la perspective d’une présidence qatarie de la conférence. Puis, ces derniers jours, ce fut au tour de la Confédération syndicale internationale et de l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB/BWI) d’adresser un courrier au directeur général de l’OIT afin de faire part de leur mécontentement, s’appuyant sur « des rapports selon lesquels la mise en œuvre des réformes du travail convenue avec l’OIT et ses mandats en 2017 n’a pas été suffisamment efficace », écrit Luc Triangle, secrétaire général par intérim de la CSI. Il apparaît en effet que le Qatar n’a pas réellement renoncé à la Kafala, ce système de « mise sous tutelle » qui met les travailleurs à la merci de leurs employeurs comprenant, par exemple, l’impossibilité de changer d’emploi.

“Une insulte à l’OIT”

L’IBB, très concernée par les exactions du Qatar lors de la construction des chantiers de la Coupe du monde 2022, va plus loin. « Élire comme président de la Conférence un représentant de gouvernement qui, à l’heure actuelle, rejette ce pour quoi l’OIT se bat depuis près d’un siècle constitue une insulte à l’organisation. C’est envoyer un signal de découragement aux travailleurs », arguait son secrétaire général. Jusqu’alors, « les autorités qataries ont partiellement réformé leur législation et coopéré avec les syndicats et l’OIT ». Mais, depuis que le Qatar n’est plus sous les projecteurs de la Coupe du monde de football, les conditions de travail comme les possibilités d’accès des observateurs se durcissent drastiquement.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

À la veille de l’ouverture de la Conférence, une réunion était organisée avec le ministre du Travail du gouvernement qatari et la CSI pour faire le point sur les questions de liberté syndicale et la mise en œuvre des changements adoptés au Qatar depuis 2017. « Il va falloir aller plus loin et plus vite », presse la CSI.