Le Mont-Saint-Michel

iconeExtrait du magazine n°501

Travailler dans l’un des plus beaux sites du monde n’a parfois rien d’idyllique. Au Mont-Saint-Michel, les agents dénoncent depuis des années leurs conditions de travail avec l’impression de crier dans le désert. Fin décembre, après plusieurs jours de grève, ils ont réussi à obtenir gain de cause.

Par Anne-Sophie Balle— Publié le 01/03/2024 à 10h00

image
© Joseph Melin

Le jour s’est levé sur le Mont et ses merveilles. Le temps ne semble pas avoir de prise sur ce monument vieux de treize siècles. Mais pour ceux qui y travaillent quotidiennement, les années qui viennent de passer ont paru longues. Que l’on ne s’y trompe pas : travailler ici est, pour tous ceux que nous avons croisés, « un choix de cœur »

Il n’empêche. « Derrière les pierres de l’abbaye, c’est une autre histoire », confie Floxel. Diable sur le dos, cet agent de maintenance s’apprête à gravir nombre de marches pour aller nettoyer la cour de la Merveille, sa mission du jour. Demain, il sera électricien, plombier, serrurier… Pas le choix : Floxel est le seul agent en poste qui assure l’entretien des 8 000 m2 de l’abbaye. « J’ai mis au point un planning très précis et rythmé si je veux pouvoir tout faire. Quand je suis arrivé, il y a huit ans, on était trois… mais on a dû considérer, “en haut”, que c’était trop. »

Floxel Leprovost est le seul agent de maintenance sur les 8000 m2 du site.
Floxel Leprovost est le seul agent de maintenance sur les 8000 m2 du site.@Joseph Melin

C’est entre autres pour Floxel qu’une partie des agents de l’établissement public du Mont-Saint-Michel se sont mis en grève à la fin décembre 2023. Le résultat d’un ras-le-bol qui couvait depuis longtemps. Les économies de bouts de chandelle pratiquées à tous les étages et le non-remplacement des postes ne permettent plus aujourd’hui d’accueillir les visiteurs dans de bonnes conditions.

Isabel, agente d’accueil et de surveillance au caractère bien trempé, n’en revient pas d’avoir eu à faire grève pour ce qu’elle estime pourtant être le b.a.-ba des conditions de travail. « Un point d’accueil digne de ce nom, une signalétique de base pour guider correctement les visiteurs et, soyons fous, un point chauffé ou, au moins, un paravent en hiver. Jusqu’alors, toutes nos demandes étaient refusées par la direction, au prétexte qu’elles risquaient de dénaturer le monument. »

Isabel, agente d’accueil et de surveillance.
Isabel, agente d’accueil et de surveillance.© Joseph Melin

Il faut se poser un instant au milieu des pierres pour saisir le contraste qui existe entre la beauté du lieu et sa dureté. « À bien des égards, le Mont-Saint-Michel est un monument difficile », résume Marianne, agente de surveillance et guide conférencière. Au-delà des difficultés d’accès – avec des temps de trajet qui peuvent atteindre une heure trente par jour entre les parkings et l’abbaye –, « l’humidité et les courants d’air, qui s’engouffrent par tous les pores de la peau, rendent les hivers particulièrement compliqués et accidentogènes pour les agents », poursuit Marianne, qui a déjà quatre tendinites et trois chutes à son actif. L’été, la densité touristique et le manque de personnel pour accueillir et guider les 13 000 visiteurs quotidiens (jusqu’à 25 000 au mois d’août) multiplient les incivilités, de plus en plus fréquentes.

La barbacane, premier poste d’accueil de l’abbaye, est devenue l’endroit redouté de tous les agents postés. « Personne n’y reste plus de deux heures ; après, psychologiquement, ce n’est pas tenable. »

Une grève marathon

Ce sont toutes ces raisons qui ont poussé la cinquantaine d’agents du site à répondre positivement à l’appel à la grève lancé en intersyndicale (CFDT, CGT, Solidaires) le 26 décembre dernier. « C’était le seul moyen de se faire entendre, plaide Sophie Noyer, militante CFDT de l’abbaye. On a très vite compris qu’ils ne fermeraient pas le site, quitte à maintenir des conditions désastreuses pour les visiteurs et les agents. Les premiers jours, la direction a voulu continuer à faire tourner le site avec quatre vacataires sans expérience. Certains nous ont confié avoir eu peur pour leur vie. »

image
© Joseph Melin

Les rounds de négociation s’enchaînent début janvier mais la direction ne veut rien entendre. Et, alors qu’une issue favorable du conflit semble perdue dans les sables mouvants de la baie du Mont, les salariés passent en mode marathon le 8 janvier : un courrier intersyndical est envoyé à la ministre de la Culture. En parallèle, les agents, réunis en AG, décident de faire grève chaque samedi (le principal jour d’affluence) et de mettre dans la balance une possible mobilisation lors du passage de la flamme olympique, en mai prochain. Deux jours plus tard, la direction revient et pose de nouvelles propositions sur la table. Le 13 janvier, un protocole de fin de grève est signé par le Centre des monuments nationaux et l’intersyndicale (lire l’encadré).

« On était déterminés et unis dans ce combat. C’est sans doute ça qui a payé », déduit d’ailleurs Sophie, entourée de ses collègues des autres organisations.

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Un gros mois est passé depuis la fin de la grève. Les agents ont repris le travail, conscients de la solidarité qui s’est jouée pendant ces quelques jours de janvier. Mais tous sont encore sur le qui-vive. « Cette grève nous a ressoudés, assure Isabel. À voir maintenant si les engagements se concrétisent. » Marianne, quant à elle, a beau avoir une statue dorée de saint Michel au-dessus de la tête, elle serait plutôt comme saint Thomas… à ne croire que ce qu’elle voit. 

Après dix jours de grève, un protocole d’accord a été signé. Il prévoit le remplacement de tout nouveau départ à la retraite ou toute absence pour longue maladie. Trois postes ont été créés dans les services Accueil ; Surveillance, boutique et entretien ; Maintenance.

En matière de conditions de travail, plusieurs sujets vont faire l’objet de discussions : les moyens d’accès au site pour les agents, la mise en place de points d’accueil et d’information pour les visiteurs. Enfin, le Centre des monuments nationaux s’engage à valoriser financièrement les compétences en langues étrangères des agents. Un groupe de travail va être mis en place…