La transparence reste (encore) un sport de combat

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En toute transparence ?

Si les pratiques progressent dans les entreprises, le sujet des salaires reste largement tabou. Les élus du personnel ont encore parfois du mal à obtenir l’ensemble des informations. Néanmoins, l’arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail pourrait changer les choses.

Par Jérôme CitronPublié le 02/05/2025 à 08h26

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Difficile de généraliser tant les pratiques divergent d’une organisation à l’autre, mais un constat s’impose : la transparence en matière de salaires progresse dans le monde professionnel. Les élus du personnel interrogés sont quasi unanimes. Ils disposent de plus en plus d’informations sur les rémunérations pratiquées dans leur entreprise, même s’il est parfois difficile de s’y retrouver entre la partie salaire, les primes, les promotions, ou encore l’intéressement et la participation.

Dans la pratique, la plupart des entreprises fournissent aux élus du personnel la répartition des salaires par tranche (par décile), indiquent le salaire moyen et médian et la répartition genrée. Elles donnent également le salaire le plus bas (mais « oublient » souvent le plus élevé) et l’évolution de la masse salariale.

Dans beaucoup de secteurs, notamment l’industrie, il y a aussi des grilles et des conventions collectives qui facilitent le travail des élus qui cherchent à connaître le positionnement des salariés. Seul bémol, la grille des cadres semble inexistante ou alors elle n’est pas connue des représentants du personnel. Il y aurait comme une « exception » pour ce statut quand on parle de transparence salariale.

« Sur la partie salaires, les représentants des salariés disposent de certaines informations qui restent assez globales comme celles relatives aux salaires moyens, ou par coefficient, par sexe, avance Christelle Previtali, référente du pôle social de Syndex. La question du manque de transparence se pose davantage au sujet des primes ou des augmentations individuelles, qui passent souvent sous les radars. Très peu de directions négocient avec les élus du personnel, notamment le montant des primes et leur mode d’attribution. »

Individualisation des rémunérations

Le sujet des promotions semble crisper aussi un peu les directions. Il est souvent demandé aux salariés qui « gagnent » un échelon ou qui progressent dans la grille de rester discrets pour ne pas « créer de jalousie » entre collègues. La pratique est d’autant plus répandue que l’individualisation des rémunérations gagne du terrain, comme l’expliquait un élu de l’agroalimentaire rencontré lors de l’enquête : « Dans ma boîte, les managers de proximité ont une enveloppe pour les augmentations individuelles. La plupart du temps, ils essaient de faire tourner entre les salariés pour être le plus juste possible, mais nous ne pouvons pas vérifier. Il peut y avoir du copinage… »

Au sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes, on retrouve une forme de consensus : la plupart des entreprises ont pris le sujet à bras-le-corps, même si les résultats restent contrastés. « On peut dire que nous sommes collectivement, direction comme représentants des salariés, plus vigilants. Dans mon entreprise, les jeunes femmes sont davantage protégées des biais de genre, indique une élue de la métallurgie. En revanche, on a du mal à négocier des mesures de rattrapage pour les femmes qui sont en poste depuis plusieurs années et dont le salaire n’a pas progressé aussi vite que leurs collègues masculins. »

Même constat d’une élue du secteur médico-social : « On peine à avoir des informations sur l’évolution de la répartition genrée des promotions. Mon employeur ne veut peut-être pas ouvrir la boîte de Pandore ou, plus simplement, ne veut pas prendre le temps nécessaire à ce travail. »

Faire la transparence totale ?

À l’image des Français (sondage ci-dessous), beaucoup d’élus du personnel trouveraient finalement plus simple de faire la transparence totale sur les salaires de l’entreprise. « Personnellement, cela ne me choquerait pas, quand on a un petit salaire, on n’a rien à cacher, explique l’un d’eux. Mais les cadres ne seraient pas d’accord… », ajoute-t-il avec malice.

SONDAGE

Seriez-vous favorable à une transparence totale des salaires, qui seraient rendus publics dans toutes les entreprises, pour tous les salariés et tous les dirigeants ?

  • Oui tout à fait : 45 %
  • Oui, plutût : 38 %
  • Non, plutôt pas : 13%
  • Non, pas du tout : 4%

Cette mesure aurait le mérite de mettre fin à un flou persistant. En effet, selon une étude publiée le 8 avril 2025 par PageGroup et Indeed, un salarié sur six ne sait pas du tout où il se situe en matière de rémunération par rapport à la moyenne (à poste comparable) dans son entreprise.

À l’opposé, parmi les 83 % de salariés qui pensent savoir se situer : 32 % estiment qu’ils sont moins bien payés que la moyenne, tandis que 12 % s’estiment à l’inverse mieux payés que la moyenne dans leur entreprise. Au global, 44 % des salariés pensent être payés différemment de la moyenne de leurs collègues occupant un poste similaire.

Autre enseignement de cette étude, parmi les collaborateurs ayant déjà parlé de salaire avec leurs collègues, 38 % l’ont regretté (51 % chez les moins de 35 ans) ; 15 % estiment que cela a créé des tensions dans leur équipe. Toutefois, une large majorité (60 %) ne l’a jamais regretté. « Je note que les jeunes n’ont pas les mêmes réticences que nous à aborder ce sujet, souligne un élu. Beaucoup viennent nous voir avec leur fiche de paie pour comprendre telle ou telle ligne, pour que nous vérifiions si tout est en règle ou parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas eu la même prime que leur collègue. Cela ne se faisait pas avant. Les mentalités ont bien évolué. »

Signe que la question de la transparence salariale reste tout de même un sujet qui n’a rien de banal, plus de la moitié des salariés (59 %) craignent de découvrir qu’ils sont moins bien payés que leurs collègues. Et si la transparence était le moyen de retrouver la confiance ?