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La réalité derrière la fiction

iconeExtrait du magazine n°491

La Syndicaliste, qui sort le 1ermars 2023, raconte l’histoire vraie d’une militante CFDT d’Areva qui se fait agresser alors qu’elle gêne en haut lieu. Le réalisateur en a fait une héroïne « seule contre tous », passant sous silence le rôle joué par la CFDT pour la soutenir. Jean-Pierre Bachmann, coordinateur CFDT du groupe Areva au moment des faits, prend la parole pour remettre les pendules à l’heure.

Par Claire Nillus— Publié le 01/03/2023 à 12h48

Jean-Pierre Bachmann (2e en partant de la gauche), coordinateur CFDT du groupe Areva au moment des faits, avec des militants du nucléaire et de la métallurgie, devant le palais de l’Élysée en 2015.
Jean-Pierre Bachmann (2e en partant de la gauche), coordinateur CFDT du groupe Areva au moment des faits, avec des militants du nucléaire et de la métallurgie, devant le palais de l’Élysée en 2015.DR

Mandatée par la CFDT au comité de groupe européen d’Areva entre 2004 et 2012, Maureen Kearney apprend l’existence de tractations en sous-main relatives à la construction de trente réacteurs nucléaires en Chine. En plus de Maureen, très impliquée dans le dossier, ces révélations mobilisent toute la CFDT d’Areva (première organisation syndicale du groupe), qui voit dans ce contrat une sérieuse menace pour la filière nucléaire française, en ce qu’il accorde trop de transferts de savoir-faire à la Chine. En ponctionnant les compétences d’Areva, un tel accord commercial entraînerait inévitablement le déclin du fleuron français de l’industrie nucléaire (45 000 emplois).

“Si ce film met en valeur le combat sans faille d’une syndicaliste engagée, victime d’une agression atroce (…), il ne dit absolument rien sur ceux qui étaient à ses côtés dans ce combat.”

En décembre 2012, Maureen est violemment attaquée à son domicile puis accusée d’avoir mis en scène sa propre agression. Lors de son procès en appel, elle est acquittée six ans après les faits. Les coupables, eux, n’ont pas été retrouvés.

Une histoire relatée dans le film du réalisateur Jean-Paul Salomé, La Syndicaliste, mais dont le scénario interpelle et dérange les militants, notamment Jean-Pierre Bachmann, coordinateur du groupe CFDT Areva au moment des faits : « Pourquoi ce parti pris de montrer Maureen “seule contre tous” ? En quoi l’histoire portée à l’écran est-elle plus belle alors qu’elle est le degré zéro de l’action syndicale ? », s’interroge-t-il.

Si ce film met en valeur le combat sans faille d’une syndicaliste engagée, victime d’une agression atroce tandis qu’elle se démène pour défendre des milliers d’emplois, il ne dit absolument rien sur ceux qui étaient à ses côtés dans ce combat, qui ne l’ont jamais lâchée et ont notamment financé les frais de justice en vue de l’aider à se reconstruire. 

Affiche du film La Syndicaliste le 1er mars 2023. (En 2012, Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, est devenue lanceuse d'alerte pour dénoncer un secret d'Etat qui a secoué l'industrie du nucléaire en France.)
Affiche du film La Syndicaliste le 1er mars 2023. (En 2012, Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, est devenue lanceuse d'alerte pour dénoncer un secret d'Etat qui a secoué l'industrie du nucléaire en France.) © DR

Le film montre néanmoins à quel point l’enquête menée juste après l’agression de la syndicaliste à son domicile a été bâclée. « En quelques jours, on apprend et sa garde à vue et sa mise en examen. Nous n’avons même pas eu le temps de nous constituer partie civile », rapporte le délégué syndical. Rien n’est dit non plus à propos de la communication de la CFDT à la presse dans les heures qui suivent l’agression, lui demandant d’observer la plus grande réserve au nom du droit à la préservation de sa personne, de ses proches et de ses amis. La CFDT a également fait savoir, pour les mêmes raisons, qu’elle ne s’exprimerait pas sur l’événement tant que l’enquête est en cours.

Victime, oui. Seule, non

Après des aveux extorqués au terme d’une garde à vue éprouvante, Maureen passe de victime à coupable : on l’accuse de s’être elle-même ligotée et scarifiée et d’avoir mis en scène son propre viol…  « Cette histoire nous a tous complètement retournés. Personnellement, elle continue de me hanter. La justice était à charge, ils ont tout essayé pour la faire craquer. Elle, elle n’avait plus la force de se défendre, elle n’arrivait pas à sortir de sa souffrance. Tandis que la presse relayait l’accusation de crime imaginaire – comble de l’ignominie ! –, nous avons continué à clamer son innocence, poursuit Jean-Pierre. Et, à notre tour, nous étions accusés de défendre une menteuse… Mais pour un marché de 100 milliards d’euros (le prix des trente réacteurs), cela ne nous paraissait pas impossible que l’on agresse ou tue des personnes, voire tout à fait plausible. »

Entre cette accusation et le procès, quatre années s’écoulent pendant lesquelles Maureen est en arrêt maladie. Pendant ce temps, la CFDT d’Areva poursuit son action.

Pour protéger la lanceuse d’alerte, la section maintient son mandat au comité de groupe européen afin qu’elle ne puisse pas être licenciée. Puis les militants poursuivent leur enquête sur les « contrats chinois », mettent la main sur l’accord franco-chinois, distribue des milliers de tracts afin d’informer les salariés sur ce qui se trame entre la direction du groupe et la Chine – en 2015, ce projet est finalement invalidé par l’État, le gouvernement estimant que les demandes des Chinois sont exorbitantes.

Enfin, la section publie régulièrement des communiqués de presse de soutien : il ne faut surtout pas qu’on oublie cette militante dont la CFDT d’Areva a souligné à maintes reprises le courage dans la défense des intérêts des salariés du groupe.

Les fautes de l’institution

Mais le premier procès, appuyé sur une enquête tronquée (pas de relevés d’ADN, disparition des scellés, etc.), atteste la thèse odieuse de « crime imaginaire ». Un coup terrible. « Lorsque Maureen a pris la décision de faire appel, nous voulions, cette fois, que ce soit un cador du barreau qui reprenne l’affaire depuis le début, et nous étions prêts à aller jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne pour la faire acquitter. »

De plus, afin de financer les frais de justice, la CFDT a constitué un comité de soutien et mis en place une souscription (la facture de 150 000 euros a été prise en charge par la CFDT), un élément, là encore, totalement absent du film. Or, c’est lors de ce second procès que sont enfin relevées les fautes de l’institution et mis au jour les graves dysfonctionnements juridiques qui ont condamné Maureen en première instance. « Le film a déjà récolté plusieurs prix et il a le mérite de mettre un coup de projecteur sur une lanceuse d’alerte aussi courageuse que meurtrie. Mais je ne voudrais pas que nos adhérents pensent que la CFDT n’a pas pris ses responsabilités », conclut Jean-Pierre Bachmann, encore bouleversé par ce drame.