“La question de l’héritage doit s’évaluer sur un temps long”

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L’emploi en jeux

Marie Delaplace est professeure d’urbanisme et d’aménagement au Lab’Urba et à l’École d’urbanisme de Paris (EUP) rattachée à l’Université Gustave Eiffel (UGE).

Elle est aussi cofondatrice de l’Observatoire pour la recherche sur les méga-évènements de l’Université Gustave Eiffel. Elle conduit notamment des recherches sur l’impact des Jeux olympiques de Paris 2024. 

Par Emmanuelle Pirat— Publié le 01/03/2024 à 10h00

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Vous avez mené de nombreuses enquêtes autour des JO de Paris2024. Diriez-vous que vous percevez un « effet JO » ?

Je n’ai pas spécifiquement travaillé sur cette question en tant que telle. Ce qu’on constate en revanche, c’est que plus on s’approche des JO, plus l’engouement dans les médias devient fort, et dans le même temps, plus le désenchantement des populations concernées par les travaux de construction d’infrastructures ou de réhabilitation va croissant. Elles doivent en subir de nombreux désagréments : transports plus complexes, poussière et bruit, etc. J’ai beaucoup travaillé sur Teahupo’o à Tahiti, le site de compétition de surf, au centre d’une controverse récente. Cet endroit, paradisiaque il y a un an, est désormais un vaste chantier. Les habitants se retrouvent au milieu de tous ces travaux… Bien sûr qu’on ne peut pas faire des Jeux sans travaux. Mais pour les habitants, c’est beaucoup plus difficile à vivre.

“Un héritage pour qui ? Qui seront les bénéficiaires des logements du Village olympique ? Qui pourra bénéficier du Centre aquatique olympique ?”

Ceci pourrait être contrebalancé par la perspective de pouvoir bénéficier de nouvelles infrastructures, ou s’accompagner d’un sentiment de fierté… Ce qui ne semble pas vraiment être le cas…

L’enquête que nous avions menée en 2020 auprès des Franciliens avait pourtant montré que la grande majorité était fière d’accueillir les Jeux. Mais ce n’était pas forcément des personnes directement confrontées aux travaux. Et surtout, comme je vous le disais, plus on se rapproche des JO, plus les mécontentements sont importants. Nous sommes encore à plusieurs mois de l’évènement, nous ne sommes pas au bout du processus. Il est difficile de tirer des conclusions.

Quel héritage peut-on attendre de ces JO ?

Tout d’abord, il faut se poser la question : un héritage pour qui ? Parle-t-on de l’héritage pour le Cojop (Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques), pour Paris, pour les habitants de Seine-Saint-Denis ? Si je reprends l’exemple de Teahupo’o : la Tour des juges qui y est construite est censée constituer un héritage, puisque ce lieu accueille chaque année la compétition de la Ligue mondiale de surf.

Cela peut être considéré comme un héritage pour le monde sportif, mais pas pour la population qui n’en veut pas. Pour la Seine-Saint-Denis, posons-nous la même question : un héritage pour qui ? Qui seront les bénéficiaires des logements du Village olympique ? Qui pourra bénéficier du Centre aquatique olympique ?

Ceci posé, il faut ensuite distinguer deux formes d’héritages : l’héritage matériel, associé aux infrastructures nouvelles, et l’héritage immatériel, plus difficile à mesurer.

Sur le premier point, ces JO s’inscrivent dans une trajectoire de transformation du territoire de la Seine-Saint-Denis qui remonte aux années 1970. Par l’ampleur de l’évènement et des budgets qui y sont consacrés, les transformations sont accélérées, facilitées. Pour autant, il faut être conscient que ce ne sont pas les infrastructures en tant que telles qui vont structurer le territoire. Elles y participent, mais encore faut-il qu’elles soient mobilisées, appropriées par les habitants, qu’elles soient accompagnées par des services...

“Ce n’est pas simplement parce que vous créez des bassins supplémentaires que les enfants vont apprendre à nager”

Que voulez-vous dire ?

Si vous prenez l’exemple des piscines qui ont été construites ou rénovées pour les JO : ce n’est pas simplement parce que vous créez des bassins supplémentaires que les enfants vont apprendre à nager. Pour que cela fonctionne, encore faut-il que les enfants puissent y aller, en termes de prix, d’accessibilité, culturels également. Pour apprendre à nager, encore faut-il avoir des enseignants qui les accompagnent et des maîtres-nageurs qui leur donnent des cours, ce qui est un sujet actuellement, quand on constate toutes les difficultés pour recruter ces professionnels… Tout cela suppose des coûts de fonctionnement (chauffer les bassins, former les accompagnants…). Il y a beaucoup d’éléments en jeu pour que cela marche.

Vous parliez de l’héritage immatériel des JO… Pouvez-vous préciser ? 

1. Professeur à l’Institut de hautes études en administration publique en Suisse. Auteur de l’ouvrage : Le Système olympique, Presses Universitaires de Grenoble, 1992, 264 pages.

À propos de l'auteur

Emmanuelle Pirat
Journaliste

Il concerne, par exemple, l’impact sur les pratiques sportives, sur l’image et l’attractivité des territoires hôtes, sur l’acquisition de compétences ou de qualifications par les bénévoles, etc. Tout ceci est non seulement délicat à mesurer, mais il s’évalue sur le temps long. Comme le souligne Jean-Loup Chappelet1, si le projet se déroule lui-même sur une douzaine d’années – de la candidature en passant par la préparation jusqu’à la clôture des Jeux – il convient de distinguer un héritage à court et moyen terme (un ou deux ans après les Jeux) et l’héritage à long terme (une ou deux décennies après les Jeux).