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L’emploi en jeux
Depuis 2017, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) et le gouvernement promettent des Jeux « exemplaires ». Signataire de la Charte sociale Paris 2024, la CFDT y veille à son échelle. À environ cent soixante jours de la cérémonie d’ouverture, un premier bilan s’impose.
Les Jeux olympiques sont un défi organisationnel sans commune mesure. Cent quatre-vingt-un mille travailleurs ont été ou seront mobilisés entre 2017 et 2025 pour que puisse se tenir, le temps de quelques semaines, le plus grand évènement sportif au monde. D’après les données du Centre de droit et d’économie du sport (CDES), le secteur de la construction aura mobilisé quelque 30 000 travailleurs, le secteur du tourisme 61 800 et l’organisation de l’évènement à proprement parler près de 90 000 personnes, notamment en vue d’assurer la sécurité des visiteurs et des épreuves.
Des chiffres colossaux et un défi qui est aussi social pour le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Ce dernier s’est engagé à être exemplaire. Il a signé une charte sociale avec les organisations syndicales françaises de seize engagements (lire ci-dessous).
Concrètement, ce texte prévoit que les entreprises obtenant des marchés publics intègrent dans leur cahier des charges des critères sociaux et s’engagent à mettre l’emploi de qualité, les conditions de travail et la lutte contre le travail illégal au cœur de leurs pratiques. « Après Londres 2012, ce n’est que la deuxième fois que les syndicats se voient associés à la préparation des Jeux, ce n’est pas anodin », complète Luc Martinet, chargé du suivi de la Charte sociale Paris 2024 pour la CFDT.
Les engagements de la charte respectés
À quelques mois des Jeux, un premier bilan peut être dressé. Ainsi, l’objectif des 10 % d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) sollicitées est atteint, et même dépassé. D’après les données du Cojop, sur les 2198 entreprises qui ont réalisé des prestations pour le comité d’organisation, 250 venaient de l’ESS (11,37 % du total).
Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) annonçait en décembre 2023 que près de trois millions d’heures avaient été travaillées par 3 780 personnes éloignées de l’emploi. Un chiffre supérieur de 8,8 points aux engagements de départ atteint avec un an d’avance. Un bémol, toutefois, le recours à l’intérim, qui représente 42,6 % de l’ensemble des contrats. Les embauches en CDI ne représentent que 5,6 %.
Sécurité et conditions de travail
Au sujet de la sécurité et des conditions de travail, Solideo annonçait 164 accidents du travail, dont 25 graves au 31 décembre 2023. «L’accidentologie a été quatre fois moins élevée que la moyenne nationale, insiste Antoine du Souich, directeur de la stratégie et de l’innovation chez Solideo. Avec 960 contrôles de l’inspection du travail, nous nous sommes donné les moyens. Ça ne prémunit pas contre tout mais cela a des effets concrets et ça nous a permis d’agir le cas échéant. »
Même satisfecit côté syndical : « Nous avons pu suivre l’avancement des travaux, organiser une présence syndicale et échanger avec les différentes entreprises en cas de nécessité ou de dysfonctionnement », explique Luc Martinet.
Néanmoins, si le Cojop et Solideo semblent jouer le jeu, ce n’est pas le cas de tous les acteurs. Ainsi, l’État a fait passer un décret introduisant une dérogation sur le repos hebdomadaire pour certains secteurs, sans aucune concertation. De plus, le rôle que les agents publics devront tenir pendant cet évènement et leurs conditions de travail restent flous, ce qui crée de vives inquiétudes.
Quid de l’héritage ?
Les bénéfices à moyen et long terme de ces Jeux sur l’emploi sont également source de questionnement. « L’impact sur l’emploi est minime. La plupart des emplois mobilisés sont des emplois déjà existants. Il y a une forme de surévaluation de ce que sont les Jeux », soutient Christophe Lepetit, responsable des études économiques et des partenariats au CDES.
Selon ce chercheur, on attendrait trop de ces Jeux. Il rappelle que parmi les 16 000 emplois encore à pourvoir, beaucoup disparaîtront dès que la flamme s’éteindra. « Il y a ce sentiment que les Jeux olympiques doivent résoudre les problèmes sociaux, influer sur la croissance ou être générateurs d’emplois. S’ils doivent y contribuer, ils ne peuvent pas tout, insiste-t-il. Les JO peuvent être un levier pour attirer des personnes éloignées de l’emploi en vue de les réinsérer, en les formant, en les accompagnant dans l’emploi une fois l’évènement passé. »
Dans quelques mois, un bilan sera dressé et des leçons seront tirées sur le volet social de ces Jeux pris entre des objectifs parfois antagonistes. « On gère la complexité d’un évènement éphémère par nature, mais aussi l’ambition et la nécessité d’être exemplaire, résume Gilles Verdure, manager Attractivité économique, sociale et territoriale de Paris 2024. La charte nous a obligés à de la rigueur et à rendre des comptes. Ce ne sont pas que de belles intentions. Maintenant, il faut faire vivre cet héritage. Il faut que les compétences acquises par les salariés soient reconnues et s’inscrivent dans un parcours professionnel durable. »
Bien, mais peut mieux faire, donc ? « Il y aura un avant et un après Paris 2024, conclut Luc Martinet pour la CFDT. La charte est un outil qui peut être amélioré, mais une chose est certaine : il ne pourra plus être envisagé d’organiser ce type d’évènement sans prendre en compte la dimension sociale et sans que les syndicats n’y soient associés, en France, bien sûr, et autant que possible dans le monde. »
Charte sociale Paris 2024 : de quoi parle-t-on ?
Signée par l’ensemble des organisations syndicales en 2017 et patronales en 2018, la Charte sociale Paris 2024 liste une série d’engagements de la part du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques et de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). L’objectif est de contribuer à « laisser un héritage social fort dans une démarche de développement humain et durable ». Le texte assure la présence des syndicats au sein de la gouvernance de Paris 2024.
Cette charte édicte seize engagements visant notamment à favoriser l’insertion par l’activité économique, à embaucher des publics éloignés de l’emploi ou encore à renforcer la sécurité des personnels et à améliorer leurs conditions de travail. Elle prévoit également la présence des organisations syndicales au sein de « comités de site ». « Nous avons pu suivre les avancées sur chaque chantier, veiller à ce que la charte soit respectée et, dans le cas contraire, faire en sorte qu’elle le soit », explique Raphaël Breton, secrétaire général de la CFDT de l’Est francilien et membre des comités de sites « Village des athlètes » et « Village des médias ».
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