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Extrait de l’hebdo n°3891
Malgré le morcellement des activités du groupe Eram, les différentes sections CFDT ont uni leurs forces et ont constitué une coordination. Elle a permis d’obtenir d’importants résultats en imposant une nouvelle façon de négocier.
Le groupe Eram souhaite être discret. Pas de grande tour de verre et d’acier tape-à-l’œil dans une grande métropole en guise de siège. Non, le groupe est toujours installé dans son berceau historique, à Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire / Pays de la Loire). Il occupe même une bonne partie du territoire communal, avec ses entrepôts et ses bureaux, qui n’affichent aucun logo et abritent les nombreuses marques qu’il possède et exploite : Eram, bien sûr, mais aussi Gémo, Bocage, TBS, Mellow Yellow, Montlimart, Dresco, Sessile et Parade. Le groupe possède même deux usines de chaussures en France. En 2021, il a dégagé un milliard d’euros de chiffre d’affaires, avec ses 5 500 salariés (dont 800 travaillent au siège).
L’une des caractéristiques du groupe, c’est son morcellement. Ainsi, l’enseigne Gémo est découpée en quatre entités juridiques distinctes. Idem pour l’enseigne Eram, dont la logistique est séparée des magasins – eux-mêmes séparés d’Eram Interservices, qui gère tous les services support pour Eram et toutes les marques du groupe… Or cette organisation a forcément des conséquences sur l’implantation syndicale. Après une première tentative dans les années 1970, férocement réprimée, la CFDT est revenue en 2010, d’abord au sein de l’entité Mobilière Saint-Jacques : des pratiques de détournement d’argent du comité d’entreprise ont poussé Yvon Pasquereau, salarié à l’époque de cette entité, à rejoindre la CFDT. « Très vite, on s’est retrouvé à quatre, cinq, dix avec la volonté de monter une section », explique Yvon, toujours élu et délégué syndical CFDT. L’initiative essaime dans d’autres entités du groupe. Et les militants décident de ne pas rester dans leur coin.
Une vision globale du groupe
« L’entreprise fonctionne historiquement en silos ce qui ne facilite pas le travail syndical. Alors, nous avons discuté tous ensemble dès le début pour avoir une vision d’ensemble au niveau du groupe. La coordination CFDT est née en 2014 de cette volonté commune, avec l’aide de la fédération, ajoute Sébastien Hervé, secrétaire de la coordination du groupe Eram, élu CSE et délégué syndical d’Eram Interservices. Jouer collectif dans toutes les entités du Groupe Eram, c’est notre force. Quand nous avons commencé à avoir des délégués syndicaux et des élus dans plusieurs entités, nous avons fait comprendre à la direction que l’on négocierait partout de façon identique. »
1. Négociations annuelles obligatoires.
2. Compte épargne-temps.
C’est ce qui se passe notamment pour les NAO1. « La négociation se déroule dans chaque société. Côté CFDT, nous avons une plateforme revendicative commune qui nous sert dans toutes les entités, qui inclut aussi quelques spécificités liées à certaines sociétés et activités, par exemple une prime d’équipe pour les salariés qui travaillent dans les usines », explique Sébastien. Évidemment, cette plateforme revendicative nécessite un gros travail : « Nous nous appuyons sur des données de l’entreprise, nos revendications sont argumentées. On s’inspire aussi du législatif : par exemple, dès qu’est apparu le forfait mobilité durable, nous l’avons demandé. Nous obtenons plus souvent des avancées sur les éléments en dehors du salaire. Ainsi, en NAO, nous avions obtenu qu’il y aurait une négociation sur la création d’un CET2. Lorsque la négo est arrivée, nous avons posé sur la table un projet d’accord dans quatre sociétés, qui a ensuite été décliné dans toutes les sociétés du groupe, même là où la CFDT n’était pas implantée », sourit le responsable de la coordination.
Intégrer les enjeux environnementaux
Face à une direction qui n’est pas toujours encline à accepter les revendications CFDT, il faut, vis-à-vis des militants, pratiquer la politique des petits pas. « Nous grattons, année après année. Nous signons ce que nous obtenons. Sur la prise en charge par l’entreprise des jours de carence liée aux arrêts maladie, cela représente dix ans de négociation. Parfois, nous pouvons donner l’impression que l’on n’a rien obtenu, mais ce n’est pas vrai, il y a toujours quelque chose », ajoute Sébastien Hervé. La coordination CFDT a également négocié le télétravail, avec deux jours par semaine, proratisé pour les temps partiels, une journée en plus bénéficiant aux femmes enceintes. Mais elle n’a pas obtenu l’indemnisation forfaitaire.
L’équipe tente également de prendre en compte les enjeux environnementaux dans ses revendications, en demandant par exemple l’intégration de critères de développement durable déclenchant l’intéressement. « Il y a des engagements RSE au niveau du groupe. La direction les présente comme une volonté de sa part, mais nous savons également qu’elle est poussée par le législateur », indique Sébastien Hervé. Selon Mathilde Pouvreau, styliste chez Gémo Services et secrétaire du CSE de cette entité, « les sujets RSE sont très lents à mettre en place face à l'urgence climatique et l'industrie textile reste une industrie polluante. Mais dans mon service il y a un pôle RSE avec une ou deux personnes dessus. Nous avons des formations sur l'éco-conception, par exemple ».
Pérenniser les économies d’énergie
Au niveau du siège, la CFDT est intervenue en vue de pérenniser certaines mesures d’économies d’énergie. « L’hiver dernier, alors que le gouvernement a demandé aux entreprises des économies d’énergie, beaucoup de salariés étaient en télétravail le vendredi, et ceux qui venaient au bureau étaient regroupés dans une partie des locaux. Ailleurs, l’électricité et le chauffage étaient coupés. Nous avons proposé que cette organisation devienne pérenne, dans le cadre d’une négociation. La direction a accepté, d’autant plus facilement qu’elle avait un intérêt économique à entériner un tel changement », souligne le secrétaire de la coordination.
Un travail sur les déplacements domicile-travail des salariés a été mené : la CFDT a obtenu cette année la mise en place du forfait mobilité durable (20 euros par mois pour ceux qui viennent à vélo ou covoiturent), alors que le siège de l’entreprise se trouve en milieu rural. « Un gain de pouvoir d’achat pour les salariés », souligne les militants. Et ça marche : pour Karine Meric, qui travaille chez Eram Interservices et est élue au CSE, « beaucoup de salariés habitent Nantes ou Angers. Le covoiturage fonctionne très bien. Il est rare que je sois seule dans ma voiture ! »
Un “accord canicule” fait pour durer
Enfin, sur le volet adaptation au changement climatique, un « accord canicule » a été négocié et signé en 2022 chez Eram Logistique. « Dès que l’on est en vigilance orange canicule, les horaires de travail sont décalés pour commencer plus tôt le matin et donc finir la journée plus tôt ; de l’eau fraîche doit être obligatoirement à disposition, les pauses sont allongées de cinq minutes. L’accord a servi tout de suite », explique Yvon Pasquereau. « Le texte reprend beaucoup de dispositions législatives mais ce n’est pas grave car, maintenant, c’est écrit noir sur blanc, et les responsables ne peuvent l’ignorer. » Désormais, l’objectif de la CFDT est de l’étendre à d’autres entités concernées comme les usines ou Gémo Logistique.
Naturellement, l’action des militants se traduit dans les urnes. Les listes CFDT ont récemment obtenu 57 % des suffrages chez MFC, 100 % chez Technisynthèse (TBS) et Parade ou encore 55 % chez Eram Interservices. « Au total, nous avons huit sections avec des élus et des délégués syndicaux. Nous sommes majoritaires chez Gémo Services, Eram Logistiques, Eram Interservices, Technisynthèse, Parade, MFC, détaille Sébastien Hervé. Des résultats liés au travail que nous fournissons et au sérieux avec lequel nous menons les négociations. »