Extrait du magazine n°507
La filière pêche en Bretagne est l’une des plus importantes d’Europe. Elle emploie près de 6 000 marins qui travaillent, pour la plupart, dans des entreprises de pêche artisanale. Seuls ou avec un équipage réduit, ils naviguent en liberté… très surveillée.
« C’était l’été, j’avais 17 ans, j’étais sur le quai et je suis monté à bord pour me faire de l’argent de poche… », se souvient Philippe, marin-pêcheur depuis trente-huit ans. Si, de nos jours, les matelots passent obligatoirement par une école d’apprentissage avant de pouvoir embarquer, la pêche française reste majoritairement un métier pratiqué par des artisans, dont la vocation se transmet encore bien souvent de père en fils.
“Des filets qui crochent, une avarie, une météo peu favorable… Il y a tout le temps des impondérables, on sait quand on part, pas quand on rentre ”
1. Le Conseil maritime de façade constitue l’instance de concertation permettant à divers acteurs (État, collectivités locales, associations, organisations socioprofessionnelles) d’intervenir dans les modalités de gestion des espaces maritimes.
Yannick, propriétaire d’un bateau de douze mètres acheté il y a trois ans, raconte : « J’ai viré mes premiers filets à 13 ans avec mon père. C’est devenu une passion. » De la passion, il en faut, car la journée de pêche commence à 2 heures du matin et peut se terminer tard dans la journée. « Des filets qui crochent, une avarie, une météo peu favorable… Il y a tout le temps des impondérables, on sait quand on part, pas quand on rentre », résume Armand Quentel, ancien marin-pêcheur, mandaté CFDT au sein du Conseil maritime de façade Bretagne-Pays de la Loire1.
Comme dans la chanson de Renaud, donc : « C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme », car la marée décide. Il n’y a pas d’horaires fixes en mer. La seule obligation de l’employeur en la matière est d’offrir des temps de repos qui respectent les préconisations de l’Organisation internationale du travail relatives au travail dans la pêche (cf. convention 188 sur le travail dans la pêche, 2007) : dix heures par tranche de vingt-quatre heures. Mais un patron peut suspendre les horaires « normaux » de repos en cas de problème et exiger « les heures de travail nécessaires pour assurer la sécurité immédiate du navire, des personnes à bord ou des captures, ou pour porter secours à d’autres embarcations ou aux personnes en détresse en mer ».
Pêcheurs artisans
2. Arrêté du 11 août 2020 relatif aux genres de navigation.
Amarré dans le port du Conquet, à l’extrême ouest de la pointe du Finistère, Yannick est autorisé à pratiquer la petite pêche (à la journée), la pêche côtière (quatre-vingt-seize heures au maximum) ou la pêche au large2(quatorze jours d’affilée au maximum). En France, 86 % des bateaux sont ainsi des « pêcheurs artisans » : ils naviguent avec des bateaux de moins de 24 mètres, possèdent leur outil de travail, partent seuls ou avec quelques salariés avec lesquels ils partagent alors la vente de leur pêche. « On ne vend pas notre poisson, on nous l’achète », rectifie Armand Quentel.
Les marins ont conservé ce système de rémunération « à la part de pêche ». Celle qui revient au marin à l’issue de la vente en criée est fixée par un contrat d’engagement écrit, indiquant les dépenses et les charges qui seront retirées du produit brut pour calculer la part des marins. Aucune déduction autre que celles stipulées ne peut être admise à leur détriment.
Contrôle continu
La part de pêche conditionnant leur niveau de vie, la tentation de pêcher plus pour gagner plus est-elle la règle ?
Ce n’est pas si simple. Dans les faits, la cargaison des bateaux est soumise à un contrôle continu. « À terre, ils savent tout et en temps réel : le moindre mouvement du bateau, ce qui est pêché et à quel moment… tout est enregistré sur le carnet de bord électronique, explique Yannick. Un jour, j’ai eu une coupure internet et mon journal n’avait pas pu être transmis avant l’arrivée au port, comme l’exige la réglementation. Le gendarme m’attendait sur le quai… » Ce qui est débarqué doit correspondre exactement à ce qui est déclaré. « Y compris ce qui ne sera pas vendu, même les coquilles cassées et impropres à la vente », rapporte Philippe, qui pêche la coquille Saint-Jacques au large d’Ouessant.
Les contrôles ont également lieu en pleine mer. Ils portent sur les droits à pêcher, les permis de navigation, les brevets de l’équipage, les espèces à bord… Certaines sont soumises aux quotas, d’autres à la détention d’une licence de pêche. Toute infraction est sanctionnée et le montant des amendes varie selon la protection dont elles font l’objet. « Pour toutes ces raisons, les pêcheurs artisans ne peuvent que respecter la politique commune européenne qui gère les prélèvements halieutiques selon leur durabilité, estime Armand Quentel. Sachant que le déclin d’une espèce n’est pas juste lié à la pêche mais dépend aussi de questions environnementales et de la qualité de l’eau… Ce qui menace le plus les poissons, ne serait-ce pas surtout le changement climatique, qui modifie profondément le milieu marin ? » La question rejoint les préoccupations des pêcheurs, déjà contraints de modifier leurs stratégies de pêche selon les stocks disponibles.
La CFDT chez les travailleurs des mers
La CFDT est majoritaire à 60 % chez les marins pêcheurs. Ses adhérents
se retrouvent au sein des différents syndicats maritimes CFDT (le Syndicat maritime Bretagne Océans, le Syndicat Normandie…), intégrés à l’Union fédérale maritime CFDT (UFM). L’UFM a des salariés mandatés dans toutes les instances paritaires et administratives des secteurs maritimes. Par ailleurs, elle s’implique fortement à l’international via la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) et la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF Global).