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Extrait de l’hebdo n°3895
Pour la première fois de son histoire, l’usine Bic de Redon (Ille-et-Vilaine / Bretagne), qui fabrique pour le groupe des briquets jetables, a des représentants du personnel. Une implantation syndicale 100 % CFDT.

1. Comité social et économique.
1. Activités sociales et culturelles.
Ils ont du pain sur la planche, les onze nouveaux élus CFDT du CSE1 de l’usine Bic de Redon (Ille-et-Vilaine/Bretagne), appelée communément BJ75, qui fabrique pour le groupe les fameux briquets jetables. Pourtant, cela pourrait paraître presque anecdotique après ce qu’ils ont dû endurer. Ce 19 octobre, c’est Laurent Valy, secrétaire général du syndicat Métallurgie Cœur Bretagne, qui les accueille dans les locaux CFDT du centre-ville de Redon afin de les former aux subtilités de la nouvelle classification de la métallurgie et les initier à toutes les actions qu’il est possible de mener avec un budget ASC1. C’est lui aussi qui les a accompagnés jusqu’à la victoire aux élections professionnelles, le 10 juillet dernier « Ils ont tout à apprendre, reconnaît le syndicaliste. Mais ils sont volontaires, ils vont y arriver ! »

Si surprenant que cela puisse paraître, BJ75 n’avait auparavant jamais connu le moindre élu du personnel. « La direction s’y est toujours opposée », explique Laurent Valy, malgré plusieurs tentatives d’implantation. « Toutes avaient jusqu’ici échoué à la suite de la pression de la famille Bic sur les salariés », raconte un ancien salarié de l’usine.
Une grande victoire CFDT mais semée d’embûches
Salaires, primes, congés… : il y a encore peu, tout se discutait en direct avec le patron. Mais, au début de l’année, après un nouveau rabotage par la direction de certaines primes et le licenciement d’un de leurs collègues ayant annoncé son intention de présenter une liste CFDT aux élections CSE, certains salariés décident qu’il est grand temps de porter une parole collective. « Ça a été le déclencheur pour moi », raconte Jean-Yves, désormais mandaté de la commission emploi et formation.
« Après le licenciement de Florian, on s’est demandé s’il fallait lancer un mouvement de grève. On a finalement décidé de ne pas se dévoiler car nous savions qu’il y avait des taupes parmi les collègues », poursuit Cyril, délégué syndical. S’ensuit une longue bataille. « La direction faisait pression sur les salariés, explique Laurent Valy. Ils avaient même posté un membre de la direction des ressources humaines qui relevait les noms des personnes présentes devant les locaux de la permanence CFDT. Certains salariés étaient ensuite convoqués en entretien individuel. »
Donner sa chance au dialogue, malgré tout
L’employeur est allé jusqu’à afficher, dans les locaux de l’usine, un document leur déconseillant de voter. « Ne pas avoir de CSE permet d’être plus autonome que les autres usines. [Ce] n’est pas obligatoire », pouvait-on ainsi lire sur les murs des ateliers. Selon Laurent Valy, l’objectif poursuivi par la direction était clair : faire en sorte que le nombre de votants ne soit pas suffisant pour obtenir le quorum dès le premier tour avec les listes des syndicats. « Il y aurait alors eu un second tour… et une possibilité pour la direction de composer sa propre liste. »
Malgré tout, le syndicat veut donner sa chance au dialogue social. Sur les conseils de l’avocat, Laurent Valy écrit à l’employeur afin de dénoncer les pratiques antisyndicales et lui rappeler son obligation de neutralité. L’inspection du travail, en copie du courrier, vient rapidement constater l’affichage et relève les multiples entraves au processus électoral. Le premier tour des élections a finalement eu lieu le 12 juin dernier. Après une nouvelle pression de la direction sur les salariés de nuit, empêchés de voter par correspondance, le quorum n’est pas atteint dans deux collèges. Un deuxième tour s’organise. « Jusqu’au dernier moment, j’étais prêt à déclencher l’action en justice », raconte Laurent Valy. Finalement, l’employeur ne présentera pas de liste. Et c’est presque 200 salariés qui ont voté CFDT sur les 476 que compte l’entreprise !
De nombreux chantiers qui s’ouvrent
Reste qu’à Bic Redon, maintenant, tout est à construire. Le premier chantier auquel vont s’atteler les élus est celui de la classification, qui évolue au 1er janvier 2024 dans la branche de la métallurgie. « On n’a pas de coefficients à Bic Redon. On part de zéro », explique Laurence, trésorière adjointe, élue à la commission harcèlement sexuel et à la commission égalité femmes-hommes du CSE.

« L’autre grand chantier sera celui des conditions de travail, poursuit Philippe, trésorier. Certains salariés sont exposés au bruit, manipulent des produits dangereux sans protection ou souffrent de troubles musculo-squelettiques ». Jean-Yves, lui, aimerait que l’on parle des congés payés. « Il faudrait plus de souplesse. Aujourd’hui, tous les congés sont imposés par la direction. Moi, par exemple, je ne peux pas prendre mes vacances en même temps que ma femme… On n’est pas des voyous, on n’est pas des rebelles. On est là pour construire. On veut juste de la justice sociale. »