“Faute de lits, des patients restaient des jours dans les couloirs avec des conditions de prise en charge indignes”

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iconeExtrait de l’hebdo n°3822

Après avoir alerté depuis 2019, sans succès, la direction au sujet de la dégradation des conditions de travail des agents hospitaliers, la section CFDT du Centre hospitalier régional d’Orléans n’a pu empêcher le pire. Le 30 mars, les urgences fermaient après le dépôt d’arrêts maladie pour épuisement de 90 % du personnel paramédical. Récit d’un désastre annoncé.

Par Pauline Bandelier— Publié le 27/04/2022 à 10h50

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« Si ça continue comme ça, on ne pourra même plus assurer les urgences vitales, lâche, amère, Chantal Blanchet, la secrétaire de la section CFDT du Centre hospitalier régional d’Orléans (CHRO). La direction aujourd’hui demande aux infirmières des urgences pédiatriques d’aller aider à la prise en charge des urgences vitales adultes car deux agents de remplacement sont malades. À force de toujours tirer sur la corde, on va les perdre à leur tour. »

Ce 15 avril, l’inquiétude est palpable au sein de la section, alors que, depuis quinze jours, 75 infirmières et une trentaine d’aides-soignantes des urgences sont en arrêt maladie. Seules les urgences vitales sont assurées par les services de réanimation. De leur côté, tous les médecins urgentistes se sont mis en grève le 8 avril – une majorité d’entre eux restant toutefois assignés à leur poste en raison de l’obligation de service minimum.

150 lits d’hospitalisation fermés sur 1 200… faute d’infirmières

Quelles raisons ont conduit à cette fermeture, inédite en France ? Le manque d’une centaine d’infirmières et de vingt médecins. Résultat, chaque jour, quarante patients en attente d’un lit s’entassent dans les couloirs des urgences : « Nous n’arrivions plus à orienter les malades vers les différents services faute de lits, donc certains patients stagnaient pendant quatre ou cinq jours au milieu des couloirs des urgences, dans des conditions de prise en charge indignes : toilette derrière des paravents, couloir éclairé 24 heures sur 24, aucune confidentialité ni intimité. Parfois, il n’y avait plus assez de brancards. Les agents se retrouvent en conflit permanent avec leurs valeurs professionnelles. Ils ne veulent plus soigner sans accorder aux patients un minimum d’écoute et d’attention », détaille Christophe Dela, assistant de régulation et militant CFDT. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la mort d’une personne âgée dans le couloir, le 28 mars dernier.

Depuis la fermeture des urgences, les patients hors urgences vitales sont orientés vers les cliniques de proximité et les hôpitaux du Loiret : « On arrive à tenir mais en l’absence de plateau technique, qui permet de faire un tri à l’arrivée, les patients sont envoyés directement dans les services, ce qui peut entraîner un risque pour les patients. Cet accès direct alourdit la charge de travail déjà énorme des infirmières des services d’hospitalisation », déplore le membre de la section CFDT.

Le Centre-Val de Loire, véritable désert médical

Cette situation d’engorgement n’a rien de nouveau. Avec un médecin pour 1 500 habitants (contre un pour 1 000 en moyenne en France) et une population vieillissante, la région Centre-Val de Loire fait figure de désert médical. Dans ce contexte, et alors que beaucoup de villes et villages ne disposent plus de médecin pouvant effectuer consultations et visites, les urgences du CHRO offrent souvent l’unique solution de repli. Et ce, d’autant plus que, ces dernières années, les hôpitaux voisins ont fermé faute de personnel et de lits, grevant les lits d’aval pour les patients n’ayant plus besoin de soins dans un service de spécialité mais relevant d’un établissement de convalescence.

Depuis 2019, la CFDT demande aux élus que soit augmenté le nombre de places dans les écoles d’infirmières ainsi que deux sessions de recrutement par an – la région comptant parmi celles qui forment le moins d’infirmières. Ces demandes viennent enfin d’être prises en compte pour… septembre 2022. Autre ancienne revendication : la transformation du CHR en CHU, afin d’attirer des médecins. Ce projet est en cours de discussion depuis trente ans ; il vient d’être adopté… et sera effectif d’ici à 2027.

In fine, la crise Covid aura été le détonateur d’une situation explosive, révèle Céline Chancel, secrétaire adjointe de la section : « Pendant la première vague, les malades ne venaient plus aux urgences, donc les différents spécialistes ont renforcé les équipes qui prenaient en charge les patients Covid. Mais, comme ailleurs en France, nous avons eu à peine le temps de souffler que la deuxième vague a commencé, puis la troisième et la quatrième. Nous avons dû gérer à la fois les patients Covid et ceux qui avaient été déprogrammés… et dont la situation s’était aggravée. » Signe de surmenage, le taux d’absentéisme des agents est passé de 9 à 15 % entre 2019 et 2022.

De gauche à droite : Céline Chancel, Christophe Dela et Chantal Blanchet, secrétaire de la section CFDT du Centre hospitalier régional d’Orléans (CHRO).
De gauche à droite : Céline Chancel, Christophe Dela et Chantal Blanchet, secrétaire de la section CFDT du Centre hospitalier régional d’Orléans (CHRO).© DR

Déprogrammer les soins non urgents pour préserver l’essentiel

Face à l’aggravation de la situation, la section a demandé au ministre de la Santé, en décembre 2021, l’intervention de la réserve sanitaire dans l’optique de libérer les urgences de ses quarante patients en attente de lit chaque jour. La CFDT, quant à elle, propose de déprogrammer massivement les soins non urgents pour préserver l’essentiel. « Nous avions alerté sur le caractère explosif de la situation. Aucune tutelle n’a pris conscience de la problématique, et aucune proposition n’a été prise en compte, déplore Chantal. Nous n’avons pas été entendus, et les agents ont finalement opté pour la voie la plus radicale afin de préserver leur santé. »

Alors que le pire est déjà là, la nécessité en matière de santé publique consiste maintenant à débloquer la situation et permettre la réouverture des urgences. Reste que la question de la pénurie de personnel ne va pas se régler miraculeusement. « Les propositions envoyées par la direction le 13 avril [à la suite de la crise des urgences] supposent de déployer des moyens humains dont nous ne disposons pas. Seule la réouverture des 150 lits fermés peut régler durablement le problème », explique Chantal. Or les propositions actuelles de la direction ne visent qu’à optimiser encore plus les possibilités réduites d’hospitalisation. « Cette optimisation aura des effets pervers, alourdissant la charge de travail physique et mentale des agents du fait de l’ajout de “lits-couloirs” dans des services déjà débordés », déplore Chantal, qui craint un effondrement général des agents. « Nous avons recruté des intérimaires, des infirmiers européens et nous essayons d’élargir encore mais rien n’est simple. »

Précisons que si le Ségur de la santé a été historique en matière de revalorisation salariale et a évité des départs, il ne peut remédier à une situation dégradée dans son ensemble. « Aujourd’hui, le cœur du problème, ce n’est pas les augmentations de salaire mais la charge de travail physique et mentale trop élevée, qui épuise les équipes et impacte l’attractivité des métiers par cette image de soignants débordés. Ce que les agents demandent, c’est qu’on ne les rappelle plus pendant leurs jours de repos, qu’ils puissent prendre trois semaines de vacances en été et délivrer des soins dans de bonnes conditions », détaille Chantal.

Dans l’immédiat, la section CFDT du CHRO doit se satisfaire de petites victoires ; elle a ainsi obtenu la réserve sanitaire, depuis quatre semaines, pour la gestion de dix lits d’aval. « Les politiques et les tutelles ont fini par nous entendre, mais la solution n’est pas encore trouvée. Je suis pessimiste quant à l’avenir ! », conclut la secrétaire de section.