Dans les Apple Store français, une équipe CFDT exigeante

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iconeExtrait de l’hebdo n°3889

Au fil des années, la CFDT s’est imposée dans le paysage syndical des magasins Apple grâce à l’énergie déployée par ses équipes pour obtenir des avancées profitant aux salariés.

Par Fabrice Dedieu— Publié le 26/09/2023 à 12h00

Une partie des militants CFDT d’Apple Retail France, devant le magasin parisien situé à proximité de l’Opéra, le vendredi 22 septembre.
Une partie des militants CFDT d’Apple Retail France, devant le magasin parisien situé à proximité de l’Opéra, le vendredi 22 septembre.© Syndheb

Ce vendredi 22 septembre, devant le magasin Apple situé à proximité du quartier de l’Opéra, à Paris, c’est un peu la cohue. D’un côté, des clients font la queue pour entrer dans le store et récupérer le tout nouvel iPhone 15. De l’autre, des militants CFDT, chasubles orange sur le dos, font entendre leurs revendications, malgré une pluie battante. Car, en ce jour de lancement des nouveaux modèles de la marque californienne, la CFDT, avec les autres organisations syndicales des Apple Store français, ont décidé de se mettre en grève.

« Aujourd’hui, nous voulons qu’Apple, qui a l’ambition de changer le monde et qui sauve des vies avec ses Apple Watch, ait la même ambition pour ses employés », déclare Albin Voulfow, l’un des délégués syndicaux CFDT d’Apple Retail France, l’entreprise qui gère les magasins. « Nous voulons des salaires décents. Nous avons des collègues qui ont un niveau de vie qui ne leur permet pas de vivre dans les dix villes les plus riches de France. […] Depuis octobre 2022, nous avons perdu 500 collègues, et personne n’est remplacé », ajoute son collègue Renaud Chateauroux, lui aussi délégué syndical CFDT.

Négo déloyale et procès-verbal de désaccord

La grève découle directement de la trop faible revalorisation proposée lors des dernières négociations annuelles obligatoires (NAO), qui se sont déroulées au début de l’été. La CFDT avait posé ses exigences : « Nous ne voulions pas moins que l’année dernière, soit + 5,2 %. La direction est arrivée avec + 4 %, comme ça, sans réunion préparatoire. C’était de la négociation déloyale. Ils ont poussé à 4,5 %, et ça s’est terminé par un procès-verbal de désaccord signé par toutes les organisations syndicales », raconte Renaud Chateauroux, rencontré avec Albin quelques jours avant la grève.

Les dernières NAO ont alimenté le mécontentement dans certains magasins durant l’été, à Lyon et à Dijon notamment. « À chaque fois, la direction nous dit que le refus ne vient pas d’eux, que c’est au-dessus. C’est là la “force” des ressources humaines d’Apple, ils jouent avec le temps, expliquent-ils. Normalement, il devrait y avoir confrontation. Mais tout fonctionne en silos. Donc il faut attendre qu’ils demandent à tous les silos concernés, qui ne communiquent pas entre eux, pour qu’on puisse avancer. Et toi, en tant que syndicaliste, tu n’es pas maître du temps… »

Une offre syndicale différente

Albin et Renaud travaillent depuis suffisamment longtemps dans l’entreprise (treize ans exactement) pour comprendre comment elle fonctionne. En tant que syndicalistes, aussi, ils commencent à avoir une certaine expérience. En effet, dans la division Apple Retail France, la CFDT s’est implantée au début des années 2010 à l’initiative d’Albin Voulfow, quelques années après l’ouverture du tout premier magasin français, localisé dans le centre commercial du Carrousel du Louvre, sous le musée parisien du même nom. Renaud Chateauroux l’a rejoint en 2015.

À gauche, Renaud Chateauroux ; à droite, Albin Voulfow, tous deux délégués syndicaux CFDT.
À gauche, Renaud Chateauroux ; à droite, Albin Voulfow, tous deux délégués syndicaux CFDT.© Syndheb

« À l’époque, nous avons voulu nous différencier des autres syndicats. Nous avons alors créé une page Facebook, et c’était une première. Nous arrivions ainsi dans le fil d’actu, ce que les salariés appréciaient. Nous avons aussi commencé à faire des vidéos, avec un ton sarcastique et humoristique, ce qui nous a fait connaître dans tous les magasins. Nous ne pensions pas que ça marcherait autant », détaille Renaud. « Au fur et à mesure que l’on a gagné en crédibilité auprès des salariés mais aussi de la direction, en négociation, nous nous sommes professionnalisés », ajoute Albin.

Et les salariés acquiescent : la CFDT est la deuxième force syndicale de l’entreprise (30 %), aux dernières élections CSE de 2022, ayant obtenu un point de moins que le syndicat majoritaire, la CFTC. Ces élections ont un peu changé la physionomie de la section et son mode d’action : « L’équipe de délégués syndicaux a été renouvelée à moitié, avec le mot d’ordre qu’il faut être meilleur que la direction et les autres organisations syndicales lors des négociations, et qu’il faut négocier pour le plus grand nombre. Ce qui nous rassure, c’est que l’on est toujours attractifs, les salariés restent attirés par notre proposition. »

Les deux militants ajoutent : « Nous souhaitons être insaisissables : ne pas être agressifs, améliorer tout ce la direction propose, être accompagnés de conseilleurs juridiques et d’avocats… Et être ultra-exigeants. Nous faisons des sondages auprès des salariés pour préparer nos négociations, ce qui fait que l’on a un volume de données plus important qu’eux. »

Négocier jusqu’au bout

Une méthode appliquée lors de la récente négociation relative au temps de travail dans l’entreprise. Maintes fois reportée en raison de la crise Covid, elle a débuté en avril pour se terminer il y a quelques jours. Une nécessité quand il s’agit d’uniformiser les pratiques en matière de temps de travail, notamment. « Nous avons donc fait une enquête auprès des salariés pour recueillir leurs souhaits, et nous avons présenté les résultats sous forme de pyramide, avec tout en haut ce qu’ils souhaitent le plus et en bas ce qu’ils souhaitent quand même, mais nettement moins. Et nous n’avons pas cessé de négocier, nous avons souhaité arriver jusqu’au bout des revendications », insiste Renaud. « Et nous avons bien fait, car elles ont été presque toutes acceptées : un week-end de repos toutes les trois semaines en rotation fixe, un jour de repos fixe dans la semaine, des horaires fixes sur une journée, des choix sur un an, une visibilité sur le planning… Le congé menstruel, en revanche, est renvoyé à une autre négociation. Et la seule friction reste autour de la carence en cas d’arrêt maladie, qui passe à six jours par an au maximum. »

À propos de l'auteur

Fabrice Dedieu
Journaliste

Les deux délégués syndicaux attendent désormais le brouillon de l’accord, « que nous regarderons ligne par ligne ; il n’est pas dit que le texte final ne remette pas en cause ce qui a été négocié ». La signature de la CFDT n’est donc pas encore acquise…