Collège : un plan mixité qui fait pschitt

temps de lectureTemps de lecture 6 min

iconeExtrait de l’hebdo n°3875

Annoncé comme une priorité du ministre de l’Éducation nationale, le grand plan “mixité sociale à l’école” se transforme en une série de recommandations peu contraignantes. Pour le Sgen-CFDT (enseignement public) et la Fep-CFDT (enseignement privé), il y a un risque que la question soit remise sous le tapis.
Interview croisée de deux fédérations.

Par Jérôme Citron— Publié le 23/05/2023 à 12h00 et mis à jour le 23/05/2023 à 13h41

Collège privé, collège public : ensemble pour favoriser la mixité sociale
Collège privé, collège public : ensemble pour favoriser la mixité sociale© Simon Lambert/Haythman-Réa

Comment réagissent le Sgen et la Fep aux annonces de Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, qui n’a manifestement pas eu le soutien du gouvernement pour lancer un grand plan sur la mixité sociale à l’école ?

Alexis Torchet, secrétaire national du Sgen-CFDT (enseignement public) : Ces derniers jours ont montré que le ministre n’avait pas le soutien espéré de l’exécutif, mais nous lui savons gré, quand même, d’avoir remis la question de la mixité sociale au centre des débats sur l’École alors que ce sujet avait disparu ces dernières années. Le ministre a donné des objectifs chiffrés [réduire de 20 % d’ici à 2027 le taux de ségrégation, NDLR] aux recteurs. C’est à eux qu’il revient d’agir à présent, au plus près du terrain et avec les élus locaux. On verra si une dynamique s’installe sur ce sujet ou s’il sera à nouveau enterré. Une chose est sûre, rien ne se fera si les politiques, dans les territoires, ne s’emparent pas de cette question.

Laurent Lamberdière, secrétaire général de la Fep-CFDT (enseignement privé) : Nous sommes forcément déçus de constater qu’il n’y aura aucune mesure contraignante pour les établissements privés en matière de mixité sociale. Nous pensons pourtant que les enseignants étaient partants pour prendre leur part de l’effort. Rappelons que nous faisons partie du service public de l’Éducation. Il serait tout à fait normal que les établissements privés accueillent davantage d’élèves défavorisés. Aujourd’hui, l’enseignement catholique parle de multiplier par deux en cinq ans le taux de boursiers. Quel effort ! Et encore, le secrétariat général de l’enseignement catholique réclame, pour cela, des aides pour la cantine et les transports. Rappelons que le privé n’accueille que 10 % d’élèves boursiers, contre près de 30 % dans le public. 

Le fait d’avoir un plan mixité sociale dans le public distinct de celui du privé est révélateur des difficultés qu’il reste encore à surmonter…

AT : C’est vrai, mais c’est pourtant possible comme le montre le travail que nous avons fait en commun sur ce sujet. Aujourd’hui, le Sgen et la Fep portent une même revendication : que les dotations des établissements d’un bassin de formation, publics comme privés, soient modulées en fonction de l’écart par rapport à l’indice de position sociale [IPS] moyen du territoire. Un tel système de bonus-malus inciterait les établissements à la mixité sociale et contrebalancerait les effets patents de l’évitement scolaire. 

LL : Si l’on joue sur les moyens alloués à l’enseignement privé, il est possible de faire changer les mentalités. L’Église [98 % des écoles privées sous contrat sont catholiques, NDLR] n’a-t-elle pas vocation à accueillir tout le monde ? Ses écoles doivent se fixer la même règle. 

Que répondre aux personnes qui disent que ce n’est pas à l’école privée de changer, mais à l’école publique de résoudre ses difficultés ?

AT : C’est un peu facile comme argument. Les écoles publiques et privées, qui accueillent des élèves d’un même niveau social, obtiennent grosso modo les mêmes résultats. Je ne dis pas que le public n’a rien à apprendre du privé et vice versa, mais la question des collèges ghettos ne pourra se résoudre que si l’on parvient à avancer sur la mixité sociale en associant les établissements privés. 

LL : L’école privée a l’image d’une école où les élèves sont plus encadrés, plus surveillés, mais c’est souvent une vue de l’esprit. Et par ailleurs, nous suivons les mêmes programmes que dans le public. En revanche, si nous accueillons davantage d’élèves socialement défavorisés, les enseignants devront se former à la mixité. Car à l’évidence, ils y sont moins confrontés que dans le public. 

La situation s’est-elle dégradée ces dernières années pour que cette question de la mixité sociale revienne aussi fortement ?

AT : Dans le public, la situation s’est plutôt améliorée. Des efforts ont été fait, notamment grâce à l’action d’élus locaux. Mais le sujet revient fortement depuis l’année dernière car toutes les familles ont à présent accès à l’indice de positionnement social des établissements scolaires. Cette transparence a montré l’ampleur des inégalités entre les établissements et le travail à faire pour faire évoluer la situation.

À propos de l'auteur

Jérôme Citron
rédacteur en chef adjoint de CFDT Magazine

LL : Dans le privé, la mixité sociale a eu, au contraire, tendance à reculer ces dernières années. Beaucoup de parents estiment qu’ils paient pour que leur enfant n’ait pas à côtoyer des élèves en difficulté sociale. Les établissements, qui doivent recruter sans cesse de nouveaux élèves, ne sont pas incités à s’engager dans une politique de mixité sociale. C’est bien dommage.