Chez Radio France, le théâtre comme outil de sensibilisation

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iconeExtrait de l’hebdo n°3867

La CFDT a travaillé avec la direction des ressources humaines sur un ambitieux programme de prévention des violences sexistes et sexuelles au travail. Pour la troisième année consécutive, des sessions de formation prennent la forme de conférences théâtralisées qui aident à libérer la parole et à lutter contre ce fléau.

Par Claire Nillus— Publié le 29/03/2023 à 12h00

Deux comédiens professionnels jouent une saynète lors d’une conférence théâtralisée sur les violences sexistes et sexuelles (VSST) dans les locaux de Radio France.
Deux comédiens professionnels jouent une saynète lors d’une conférence théâtralisée sur les violences sexistes et sexuelles (VSST) dans les locaux de Radio France.© DR

L’affaire Patrick Poivre d’Arvor (ex-présentateur de TF1), sans doute la plus connue dans les médias, n’est malheureusement pas un cas isolé. « À Radio France aussi, on revient de loin », résume Renaud Dalmar, délégué syndical central CFDT et référent violences sexistes et sexuelles au travail. Parmi les alertes qu’il fait remonter à la direction des ressources humaines, 50 % depuis 2019 relèvent de violences sexistes ou sexuelles. « Beaucoup d’enquêtes internes ont montré à quel point le manque de formation sur ce sujet et le manque de connaissances relatives à la responsabilité des managers sur la santé des salariés contribuent à étouffer les affaires », développe-t-il.

Plusieurs changements ont néanmoins eu lieu avec la volonté affirmée de la présidente Sibyle Veil, arrivée en avril 2018, de renforcer la lutte contre ces violences. Désormais, tous les salariés, quel que soit leur statut – soit 3 400 CDI, environ 500 CDD et 1 600 intermittents et pigistes réguliers – doivent suivre une formation au titre de la prévention primaire. « Il fallait que cela soit rendu obligatoire, sinon seules les personnes convaincues seraient venues », explique Sophie Coudreuse, consultante et ex-directrice du département diversité et égalité de Radio France.

Des saynètes pour aborder un sujet sensible

En 2018, c’est elle qui a proposé de faire appel à des comédiens afin d’organiser des conférences théâtralisées. Le principe ? Faire jouer par des professionnels des saynètes reproduisant des situations connues et répréhensibles dans l’entreprise, puis les commenter avec les salariés présents dans la salle. « Après chaque saynète, on leur demande ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont ressenti, quelles solutions ils imaginent pour faire cesser ces violences, ce qu’ils feraient s’ils étaient des témoins ou des victimes. » La session se poursuit avec un rappel des termes de la loi, de la responsabilité de l’employeur en matière de violences sexistes et sexuelles et une explication du dispositif de traitement des signalements mis en place à Radio France.

Avec la direction et les prestataires, ThéâtriCité et Greenworking, Renaud Dalmar a contribué à l’élaboration des saynètes et participe à chaque session. « Nous avons déjà formé plus de 2 000 personnes, au siège et en région, puisque nous nous déplaçons dans les antennes régionales de France Bleu. » S’il constate des réactions très diverses d’un groupe à l’autre, le sujet demeure extrêmement sensible : « Partout, la réalité dépasse la fiction ! Certaines personnes se mettent à pleurer ou quittent la pièce parce qu’elles revivent des situations douloureuses. Inversement, d’autres se voient enfin autoriser à parler de ce qu’elles vivent ou ont vécu. Dans tous les cas, la parole se libère, et cela nous permet de leur venir en aide. »

Trois scénarios de quelques minutes

« Nous avons coécrit les scènes à partir des situations le plus fréquemment signalées à Radio France », poursuit Renaud. Trois scénarios ont été retenus.
Le premier se réfère au sexisme ordinaire : un salarié en CDI s’adresse à une jeune femme, récemment arrivée : « Quoi ? T’es en CDD et ils t’ont confié la campagne de com’ du ministère de la Défense ? Mais tu parles tout bas et personne ne t’entend en réunion ! Tu as accepté ? Tu sais, ce sont des coriaces à l’Armée, ça ne va pas être une partie de plaisir ! »
Une deuxième séquence met en scène ce qui est juridiquement défini comme du harcèlement sexuel environnemental : un homme use d’un langage cru et assumé que, sous couvert d’humour, il banalise auprès d’une collègue. « C’est comme ça dans la com’. On n’est pas des coincés ! »
Dans la troisième saynète, une femme cadre propose à son jeune assistant de passer la nuit chez elle au prétexte de travailler tard sur un projet… À la clé, elle fait miroiter l’espoir d’un passage en CDI. « Cela pourrait passer pour une caricature sauf que nous n’avons, hélas, rien inventé », souligne Renaud Dalmar. Les dialogues sont même enrichis avec les commentaires qu’ils suscitent ; et retravaillés avec les comédiens afin de tenir compte de ce qui a été plus ou moins bien perçu.

« Grâce à ces conférences, tout le monde voit la même chose et peut réagir à partir d’une mise en situation très concrète. Nous avons volontairement choisi des formats courts pour capter ou garder l’attention, surtout lorsque nous avons un public qui se sent peu affecté par ce sujet, souvent des hommes d’un certain âge », explique Jean-Baptiste Sintès, cofondateur de ThéâtriCité. La majeure partie du temps (pendant trois heures de formation) permet d’échanger, de décrire, de reformuler et de nommer. Et de passer le tout au tamis juridique.

Bilan encourageant et engouement pour la méthode

En 2022, 57 signalements ont été enregistrés. Il y a eu 25 enquêtes, cinq licenciements, cinq mises à pied, trois avertissements et un blâme. La section CFDT a demandé que ces chiffres soient communiqués en CSE et lors de ces conférences. « Nous voulons que les salariés sachent ce qu’il advient des signalements, qu’ils voient que les situations sont traitées et que nous sommes des personnes-ressources, qu’ils soient victimes ou témoins. »

Fin 2023, tous les salariés de Radio France auront été formés. « Plus personne ne pourra dire “je ne savais pas” !, affirme Renaud. Mais le sujet problématique à Radio France, c’est la difficulté des managers eux-mêmes à agir face aux violences sexistes et aux risques psychosociaux, les encadrants de haut niveau hiérarchique ayant du mal à remettre en question les managers qu’ils ont choisis lorsque ceux-ci ont des comportements inadaptés. » Ainsi, selon la CFDT de Radio France, s’il devait y avoir un prochain cycle de conférences théâtralisées, il serait utile qu’il porte sur la souffrance au travail et les risques psychosociaux. « C’est une forte attente des salariés, qui ont beaucoup apprécié cette forme de sensibilisation », conclut Renaud.