Quand la CFDT refuse les conditions de la restructuration d'Eram logistique

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icone Extrait de l'hebdo n°3966

Face à une “trahison des salariés”, la CFDT a brandi la menace de la grève dans les entrepôts logistiques d’Eram. De quoi faire reculer la direction et modifier le rapport de force. Récit d’une action syndicale exemplaire.

Par Anne-Sophie BallePublié le 20/05/2025 à 12h00

Entrepôt du groupe Eram, à Saint-Pierre-Montlimart, dans le Maine-et-Loire.
Entrepôt du groupe Eram, à Saint-Pierre-Montlimart, dans le Maine-et-Loire.©Jean Claude MOSCHETTI/REA

Levons tout de suite le suspense : la grève n’a pas eu lieu. De mémoire de salariés, cela aurait été une première chez Eram, depuis 1972. « Il fallait bien cela pour affirmer notre rapport de force », estime aujourd’hui Sébastien Hervé, coordinateur CFDT Eram. Poids lourd de l'industrie textile et de la mode, avec ses 4 500 salariés (dont 1 300 au siège et 1 600 dans le département du Maine-et-Loire), le groupe cherche, depuis 2024, à restructurer sa logistique, jusqu’ici propre à chaque marque, en passant de sept entrepôts à trois. Un projet qui ne sera pas sans conséquences pour les salariés, dont l’activité et les lieux de travail seront forcément modifiés. À la fin de l’été 2024, la direction avait réuni les syndicats afin de discuter d’un cadre pour négocier l’accompagnement de ces changements.

PSE ou APC… deux logiques s’opposent

« La CFDT est minoritaire à la logistique (32 %) face à la CFTC, syndicat mis en place par la direction depuis les années 1960 », précise Sébastien, qui ne s’empêche pourtant pas de défendre « un accord de mobilité et un PSE pour les salariés qui refuseraient une modification de leur contrat de travail, comme cela a été le cas six mois plus tôt, au moment de la fermeture de l’usine de Jarzé, transférée à Montjean-sur-Loire ».

Mais la direction refuse et entame, à la fin de 2024, une négociation combinant un accord GEPP1 assorti d’un Accord de performance collective (APC) – deux dispositifs issus des ordonnances Macron de 2017 et « qui permettent de changer le contrat des salariés sans leur accord », précise la CFDT Eram. « Pendant des mois, on a négocié dans un cadre contraint, essayant d’enrichir ces accords afin d’accompagner au mieux les mobilités et le reclassement des salariés. Mais demander à des ouvriers de passer en travail d’équipe (2x8) et de faire 30 à 40 km de plus par jour avec une indemnité kilométrique de 1,20 € par jour n’était clairement pas acceptable. »

Le rapport de force s’inverse

Le 14 mars 2025, pourtant, la direction met l’accord à signature, et la CFTC (syndicat majoritaire à 68 %) signe dans la foulée. « Lors des réunions d’information des salariés, à qui on expliquait ce que signifiait réellement un APC, on a senti les gens très remontés. Ils se sentaient trahis », se souvient Sébastien Hervé, qui n’entrevoit qu’une solution possible : la grève. Les salariés sont sondés, et se prononcent, à une écrasante majorité, en faveur d’une grève reconductible.

Alertée, la direction prend la menace très au sérieux et décide d’une réunion en urgence, la veille de la grève, avec la CFDT, alors même que l’accord est déjà signé. « Rouvrir les négociations n’était pas possible, il ne restait donc plus qu’une option : la décision unilatérale de l’employeur assortie d’une communication aux salariés », résume fièrement la section. Cela donne lieu à une scène assez cocasse, se souviennent les membres de la section : « Pendant que la CFTC vendait ce qu’elle avait obtenu, la direction affichait sur les panneaux les mesures complémentaires négociées avec la CFDT. » Parmi ces mesures figurent notamment : une augmentation de 50 % des indemnités de frais kilométriques ; l’accessibilité du congé de mobilité pour les salariés éligibles au départ en retraite ; une obligation de proposition de deux offres d’emploi au sein du congé de mobilité par la direction ; une commission d’étude pour suivre les demandes et l’accompagnement des salariés. « Un compromis inespéré, compte tenu de notre position minoritaire », estime objectivement le syndicat Services du Maine-et-Loire.

 

Flyer d'appel à mobililisation, mars 2025.
Flyer d'appel à mobililisation, mars 2025.

Dans l’attente du nouveau cycle électoral

À propos de l'auteur

Anne-Sophie Balle
Rédactrice en chef adjointe de Syndicalisme Hebdo

Concertés de nouveau, les salariés ont jugé ces mesures acceptables, et ont accepté de suspendre, in extremis, l’appel à la grève. « Le rapport de force, ce n’est pas toujours le rapport de puissance électorale, c’est aussi ce qu’on a dans les tripes en tant que militant. C’est aussi savoir écouter les salariés et porter leurs revendications », se félicitait alors de son côté Éléonore Crosnier, secrétaire générale de la CFDT Maine-et-Loire. Dans les entrepôts logistiques, deux mois après l’annulation de la grève, l’effervescence est retombée. Mais les salariés et leurs représentants CFDT restent sur le qui-vive. Tous attendent désormais le prochain cycle électoral, qui débutera en 2026 et qui pourrait bien rebattre les cartes de la représentativité, en faveur de la CFDT. Depuis mars, la section a en effet grossi de 20 adhérents. Un signe encourageant pour les élus.